Depuis que Nelson Mandela est décédé, nous sommes inondés d’une écœurante campagne de propagande idéologique de la part des média bourgeois : tous pleurent et nous appellent, nous prolétaires, à pleurer « la perte d’un si grand homme » qui a œuvré toute sa vie pour « la dignité humaine ». Mais la réalité est beaucoup plus prosaïque et simplement sordide : tous ces bourgeois, depuis les politiciens jusqu’aux artistes, des businessmen aux journalistes, des dirigeants de l’économie aux militaires, des tenants de l’ultralibéralisme aux partisans du protectionnisme, de la droite à la gauche, tous ces serviteurs et adorateurs de l’État, de l’État des capitalistes, tous pleurent la mort de l’un des leurs.
Et même jusqu’à « l’homme de la rue » est convié à participer à ce show et à porter ainsi l’uniforme de « l’idiot utile » cher au Capital. La clé de la domination, de l’oppression, de l’aliénation, c’est de faire participer les dominés à leur propre domination, les opprimés à leur propre oppression, et les aliénés à leur propre aliénation. Le tout permettant à un plus haut niveau d’abstraction d’assurer la reproduction élargie des rapports sociaux capitalistes, de l’extraction de plus-value provenant de la mise au travail forcé des esclaves modernes, les esclaves salariés, le tout permettant dès lors d’assurer la reproduction élargie de l’exploitation,…
La « fin de l’apartheid » et l’avènement de « la majorité noire » au pouvoir en Afrique du Sud n’a pas été le résultat d’une quelconque bienfaisance de la part des capitalistes mais a constitué un important moment du processus inévitable et historique de réformes du système d’exploitation de l’homme par l’homme (qu’ils soient noir ou blanc), de l’exploitation d’une classe par une autre. De tout temps et toujours, le capitalisme a été obligé de réformer son mode de production afin de conserver la totalité de sa dictature de la valeur sur les besoins de l’humanité.
Nous publions ci-dessous un texte de 1991 du groupe Subversion (groupe basé en Angleterre et qui n’existe plus aujourd’hui), texte que nous avons également traduit en français et en tchèque, et avec lequel nous partageons le cadre global de la critique, bien que nous formulions certaines réserves quant à quelques expressions. Nous n’utilisons jamais l’expression « capitalisme d’État » (comme le fait le texte), et de même les « Nationalisations » ne signifient pas pour nous le « contrôle direct de l’État ». Comme nous l’avons exprimé dans un texte précédent, l’État n’est pas un « appareil », une « institution », une simple « structure », voire très simplement « le gouvernement », l’État est un rapport social et donc aujourd’hui il ne peut être que l’État des capitalistes, le capitalisme organisé en État. Il n’existe dans aucune société de classe de nos jours, dans l’état des choses actuel, de société capitaliste qui ne s’organise pas en État et aucun État qui ne soit celui du capitalisme. Il n’y a pas plus de capitalisme d’État qu’il n’y a de capitalisme sans État ni (de nos jours) d’État sans capitalisme.
Enfin, nous considérons comme très limitée la façon dont le texte du groupe Subversion traite de la conception du communisme : en effet, pour nous, le communisme n’est pas seulement une société à venir mais également un mouvement, un processus, une dynamique de négation de tout ce qui constitue la société actuelle. Dans ce sens, le prolétariat, en s’insurgeant et en libérant l’humanité, ne fera pas que simplement prendre « les moyens de production – les usines, les mines, la terre, etc. – dans ses propres mains, en les faisant fonctionner collectivement pour les besoins collectifs de la société » mais tout ce processus sera aussi une remise en question globale de quoi produire, comment produire et avec quelle finalité. Ce ne sera donc pas une forme de capitalisme plus humain ou social mais un processus de négation totale, un bouleversement de tout ce qui a toujours existé jusqu’à présent.
Le texte du groupe Subversion que nous présentons ici est originellement disponible en anglais sur le site http://www.reocities.com/Athens/Acropolis/8195/bestof8.html accompagné de la présentation suivante : « Une phase significative du processus décrit dans ‘Mandela vs. la classe ouvrière’, publié dans Subversion n°3, fut atteinte […] avec l’entrée en fonction de Nelson Mandela comme président de l’Afrique du Sud. Pour nous cependant, la phase la plus intéressante est encore à venir. Lorsque l’ANC échouera inévitablement à honorer ses promesses de boulots, de logements et d’un meilleur système éducatif, et lorsqu’il apparaîtra évident que l’arrivage de la ‘démocratie’ si longtemps attendue et annoncée n’apporte aucune véritable amélioration dans la vie de la classe ouvrière en Afrique du Sud, qui sera alors la cible de nos frustrations, nos désillusions et notre colère ? » Ce texte est également disponible entre autres sur les deux sites suivants : http://libcom.org/library/mandela-v-working-class et http://www.freecommunism.org/mandela-vs-the-working-class.
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Mandela vs. la classe ouvrière
Si vous pensiez que Nelson Mandela était le grand chef héroïque des masses opprimées d’Afrique du Sud qui vient de ressusciter comme le Christ après 27 années passées en enfer et se tient prêt à mener lesdites masses, si pas vers la vie éternelle, au moins vers la liberté ici et maintenant, vous pourriez être quelque peu perplexe.
Ce n’est sûrement pas possible. Mandela condamnant le boycott des cours et « ordonnant » aux étudiants de retourner à l’école. Mandela soutenant l’utilisation des forces armées de l’État sud-africain pour réprimer les émeutes. Mandela et de Klerk chantant les louanges l’un de l’autre. Etc. etc. Que se passe-t-il ?
Si vous avez été surpris par tout cela, c’est parce que vous ne vous êtes pas rendus compte de ce qu’était l’ANC. L’ANC a toujours été une organisation capitaliste.
La lutte en Afrique du Sud
La classe ouvrière en Afrique du Sud est probablement la plus forte sur le continent et elle a de plus en plus montré cette force ces dernières années.
D’importantes grèves ont été organisées à la fois dans les mines de charbon et d’or, dans les hôpitaux et les chemins de fer. Ainsi que la résistance dans les camps de squatters, les grèves des loyers et le boycott des cours. Toutes ces luttes sont un exemple brillant pour les ouvriers partout et démontrent que les ouvriers en Afrique du Sud sont parmi les plus avancés dans le monde pour leur combativité. Cependant, ils font face à une menace sérieuse de la part de l’ANC.
La nature de classe de l’ANC
L’ANC est un de ces groupes semblables qui existent dans le monde, comme l’OLP, l’IRA, la SWAPO, les Sandinistes, etc. qui prétendent lutter contre l’oppression et généralement pour la « libération nationale ». Toutes ces organisations sont simplement les équivalents d’aujourd’hui des mouvements nationalistes, démocratiques bourgeois de la période historique qui suit la Révolution française. À cette époque, les puissances capitalistes émergeantes ont eu besoin d’une idéologie qui relierait la population entière à la classe dominante. Ils l’ont trouvée dans l’idée de la « nation » – l’unité des dirigeants d’avec les dirigés, des oppresseurs et des opprimés, des capitalistes et des ouvriers qui, parce qu’ils habitent dans le même pays et parlent la même langue, forment soi-disant une seule unité et n’ont qu’un seul intérêt.
La plus grande escroquerie de l’histoire
Çà a bien marché pour les capitalistes. L’idéologie du nationalisme a toujours signifié que la classe ouvrière accepte les objectifs et les intérêts de ses exploiteurs, la classe des capitalistes, comme s’ils étaient les siens propres. C’est peut-être la plus grande escroquerie de l’histoire.
Aujourd’hui, le capitalisme est dominant partout dans le monde, mais il y a toujours des conflits entre des puissances capitalistes rivales grandes et petites, aussi bien entre des pays qu’entre différentes fractions dans un seul pays. Les fractions capitalistes plus faibles font toujours usage des mêmes mensonges au sujet de la démocratie et de la « libération nationale », habituellement associés à la politique capitaliste de gauche des Nationalisations, c’est-à-dire du contrôle direct de l’État – par conséquent la rhétorique de groupes comme l’ANC, l’OLP, etc.,
Du business comme d’habitude
Lorsqu’ils accèdent au pouvoir, le résultat est toujours le même. Ils continuent le business de gérer le capitalisme et d’exploiter la classe ouvrière.
Quand le MPLA, le Frelimo, le Zanu, les Sandinistes, etc. ont accédé au pouvoir, les masses ont découvert la même chose que ce qui s’est passé après la Révolution française – plus çà change, plus c’est la même chose [en français dans le texte].
Quand l’ANC accèdera au pouvoir, ce sera exactement pareil, sauf qu’avec eux ce sera encore plus flagrant que la plupart des autres. C’est à cause de la concordance d’intérêts entre eux et le Parti Nationaliste à ce moment de l’histoire.
Mene mene tekel uparsin
La crise économique mondiale croissante a gravement frappé l’Afrique du Sud – particulièrement depuis que la plus grande partie de la classe capitaliste internationale a mis en place une campagne de sanctions (cette dernière parce qu’ils peuvent mesurer la gravité de la situation pour le régime d’Apartheid, et ils veulent être dans la poche du régime non racial dont l’accession au pouvoir n’est de toute façon qu’une question de temps). La fraction de la bourgeoisie blanche la plus intelligente et la plus tournée vers l’avenir, principalement représentée par le Parti Nationaliste, se rend compte qu’un capitalisme non racial est nécessaire – et comme c’est également le but de l’ANC, d’où le développement du copinage entre ces deux partis.
Pour la classe ouvrière, en Afrique du Sud comme ailleurs, aucune forme de capitalisme, quelles que soit les expressions extravagantes utilisées, ne changera les rapports entre exploiteurs et exploités – on ne fera qu’échanger une bande d’exploiteurs par une autre.
L’alternative de la classe ouvrière
La classe ouvrière ne doit pas se permettre de se faire avoir par la version ANC du capitalisme. Notre classe ne peut se libérer qu’en abolissant le travail salarié même et en prenant les moyens de production – les usines, les mines, la terre, etc. – dans ses propres mains, en les faisant fonctionner collectivement pour les besoins collectifs de la société. C’est la base de ce que nous appelons le communisme. À la différence de l’usage très répandu du terme communisme pour signifier le capitalisme d’État, comme dans le bloc de l’Est, nous voulons parler d’une société sans classes, sans frontières nationales, sans inégalités ou oppressions, où l’argent, le marché et la production de marchandises sont abolis et remplacés par la production pour les besoins, avec un libre accès pour tous.
Ce sera la première société vraiment libre dans l’histoire. Pour accomplir cette véritable libération, la classe ouvrière doit lutter résolument contre toutes les fractions du capitalisme. L’ANC n’est juste qu’une bande de capitalistes de plus qui nous affrontent.
À bas de Klerk. À bas Mandela.
En avant vers la révolution communiste.