Appel Social Mondial – Le peuple veut la chute du système

cropped-carre-noir1C’est seulement maintenant que nous publions l’appel au boycott du Forum Social Mondial qui a eu lieu en Tunisie en mars 2013. Mais cela ne signifie pas qu’il est trop tard pour le faire. La lutte entre ceux qui ont organisé et participé au Forum et ceux qui l’ont refusé n’est rien d’autre que la matérialisation de l’affrontement historique entre la négation du monde capitaliste et sa réforme, et donc sa préservation. Le conflit à propos du Forum n’est pas la première occasion où la révolte prolétarienne doit s’affronter aux tentatives réformistes de se faire confisquer, canaliser et donc éliminer. Et ce n’est pas le dernier conflit à ce sujet non plus. Clarifier l’essence de ce conflit, la base fondamentale même de celui-ci, constitue pour les auteurs du texte qui suit, le groupe tunisien « Instances d’action révolutionnaire / Mouvement Désobéissance », un premier pas sur le chemin vers la destruction du capitalisme.

Le Forum Social mondial, comme le souligne ce texte, « n’est qu’une tentative de convaincre les victimes du système capitaliste que la raison foncière de la crise économique réside dans ce qu’ils appellent “le néo-libéralisme“, “la mondialisation sauvage“, “les spéculations financières“ et l’aggravation de la dette, ne proposant comme unique alternative à l’exploitation et la précarité que la réforme d’un système qui est à la source de tous les maux. (…) Ce Forum n’est qu’une énième tentative réformiste dont l’ultime objectif est de canaliser la colère des milliards d’individus s’étant insurgé contre la faim, la pauvreté et la précarité en ne criant qu’un slogan unique : “Le peuple veut la chute du système” (…) “Le peuple veut la chute du capitalisme”. » Et le texte de continuer : « nous boycottons ce Forum et nous nous y opposons (…) nous boycottons en priorité tout mouvement de réforme, qu’il se place à gauche ou à droite. » Ainsi, ils refusent la critique classique et habituelle envers la soi-disant « mondialisation » qui considère exclusivement la droite comme responsable de notre misère. Parce qu’en réalité, dans toutes les casernes du monde, dans toutes les usines et lors de tous les rounds des farces électorales, c’est toujours aux cris de « gauche, droite, gauche, droite » que les sergents recruteurs de l’armée du capital nous font marcher au pas, au tempo des cadences infernales de la production marchande et de la reproduction de cette société de misère et de mort…

Soulignons néanmoins deux points de l’Appel Social Mondial qui devrait être clarifiés. La critique qui suit est néanmoins une critique camarade, c’est-à-dire une critique sincère et bien intentionné peu importe que cela concerne le fait que les auteurs de ce texte aient choisi une terminologie un peu problématique ou trompeuse ou que leur contribution reflète une rupture incomplète avec l’idéologie bourgeoise.

C’est d’abord le terme « États pseudo-démocratiques ». Sans nier les différences entre les modèles d’administration politique de la société bourgeoise, la démocratie est l’essence même de la société capitaliste et pas seulement une de ses formes politiques. Opposer la démocratie (réelle, voire même la démocratie directe) à la pseudo-démocratie (ou encore à la dictature) est incorrect pour plusieurs raisons. Les citoyens atomisés, artificiellement unis dans la sphère séparée de la politique nationale, sont en fait une caractéristique commune des États parlementaires, staliniens, fascistes et même islamistes. La démocratie est l’organisation de la bourgeoisie en classe qui se développe sur la base des rapports sociaux de la société de classe. C’est pourquoi la lutte de classe est antidémocratique et antiétatique et n’a rien en commun avec la politique bourgeoise, les partis politiques (de gauche ou de droite, parlementaires ou extraparlementaires, légaux ou interdits), les élections et les coups d’État politiques. Et même le fait de qualifier la démocratie de « directe » ou d’« ouvrière » ne peut rien changer sur la nature essentiellement bourgeoise de celle-ci.

De plus, quel que soit le masque politique que l’État bourgeois adopte, cela n’enlève en rien qu’il s’agit de l’organisation de la classe dirigeante en force, en parti de l’ordre, en parti de la dictature du capital. L’État est un rapport social composé de divers appareils (gouvernement, parlement, police, armée, patronat, syndicats, partis politiques, école, etc.) et de diverses idéologies (parlementarisme, religion, positivisme, autoritarisme, etc.). Le seul véritable contenu de l’État bourgeois, c’est d’être le garant du maintien de la société de classe, du mode de production capitaliste, de la domination de classe de la bourgeoisie dans son ensemble, peu importe si son leadership est libéral, conservateur ou comprend des partis de la gauche « progressiste » ou « communiste ». Il est prouvé, non seulement historiquement, que le slogan, souvent revendiqué par la gauche capitaliste, plus de démocratie (le parlementarisme et ses variantes plus directes) est la forme la plus efficace de la domination de classe – parce qu’il s’agit d’une forme de gouvernance qui a l’approbation formelle des exploités, qui masque la division de classe de la société derrière l’égalité de vote, et que grâce à tous les partis ouvriers, socialistes, communistes, aux syndicats et aux ONG, elle accentue le poids énorme de la domination idéologique bourgeoise – mais a également démontré sa connexion interne avec la dictature « directe », étant données les contradictions sociales, la dynamique de la lutte de classe, la transformation d’une forme en une autre – démocratie, fascisme, « capitalisme d’État » rouge – avec comme objectif final : sauvegarder la domination capitaliste et se défense contre le changement révolutionnaire.

Le second point à propos duquel nous tenons à réagir est la référence à « toute tentative autogestionnaire (« toute tentative d’auto-organisation » dans la version anglaise du texte, GdC) des travailleurs dans la gestion de leurs ressources ». Nous croyons que dans la première partie de la citation, les auteurs veulent parler du processus même se déroulant au sein de la lutte de classe – c’est-à-dire la transformation des prolétaires-citoyens individuels constituant la classe dans un sens sociologique bourgeois en une classe qui découvre la connexion dynamique entre son actuelle exploitation et la transformation révolutionnaire à venir de la société. Mais la seconde partie est plus problématique. Après la destruction de la présente société capitaliste, les moyens d’existence seront gérés par la société, par l’humanité toute entière. Par conséquent, il n’y aura pas d’administration ou de gestion ouvrière. La transformation communiste de la société nécessite une réorganisation complète de la vie humaine, dont le contenu est l’abolition des classes, donc aussi des producteurs et des consommateurs, et la dictature révolutionnaire contre la valeur d’échange, parce que tant que ce qui est produit conserve son caractère de marchandise, on ne viendra pas à bout de la loi de la valeur d’échange. Si la production toute entière pour les besoins de la vie n’est pas dirigée par les besoins de l’humanité dans son ensemble, mais qu’elle reste encore la production d’associations et de groupes particuliers, de conseils ouvriers et soviétiques, qui s’occupent des questions de secteurs particuliers de la production, la valeur d’échange, le travail abstrait continueront à déterminer la direction de la société, et dès lors le capitalisme en tant que communauté de producteurs libres reliés par le marché, sera reconstruit. Dans ce contexte donc, le communisme, qui est l’intérêt historique du prolétariat dans son ensemble, s’oppose au contrôle ouvrier indépendant et à l’autogestion, qui en tant que dernier bastion de la société bourgeoise reconstruira l’appareil bureaucratique et s’opposera à la totalité de la révolution communiste.

Notre dernier commentaire concerne le terme « peuple ». Les auteurs utilisent ce terme pour désigner les masses ordinaires des exclus, des opprimés, des exploités. Mais cela ne change rien au fait que le mot « peuple » fait référence à la multitude des individus avec leurs intérêts particuliers, se faisant concurrence l’un l’autre, et que l’utilisation de ce concept ouvre la voie à la construction de fronts unis interclassistes. Le sujet de la révolte en Tunisie comme partout ailleurs, ce n’est pas « le peuple » mais bien le prolétariat en tant que classe en mouvement, en tant qu’être collectif qui n’a aucune propriété, aucun statut qu’il pourrait défendre à l’intérieur de cette société, et donc ses aspirations historiques ne peuvent qu’être despotiques envers la normalité d’aujourd’hui. Par conséquent, le seul intérêt du prolétariat, c’est de détruire le capitalisme.

Qui est le groupe « Instances d’action révolutionnaire / Mouvement de la Désobéissance? » Sur leur page Facebook (http://www.facebook.com/disobey.tn), ils disent (11/04/2013): « Nous ne nous considérons pas anarchiste ou marxiste dans le sens exclusif du mot, nous ne sommes pas la continuation de n’importe quel courant idéologique formel, nous partons juste de notre lecture critique du patrimoine révolutionnaire et des leçons des échecs des tentatives révolutionnaires précédentes, et notre existence elle-même ne se pose pas comme un mouvement intellectuel mais comme une conséquence des expériences faites par les militants de notre groupe avec le reste de la masse révoltée dans notre pays comme dans les autres pays. Ce qui nous distingue des autres partis et courants politiques ce n’est pas de prétendre d’être les plus révolutionnaires, prétendre la pureté théorique, ou que nous sommes les plus fidèles à la doctrine d’un leader ou d’un texte sacré. Ce qui nous distingue c’est que nous contribuons à la lutte des classes opprimées, non pas pour accéder au pouvoir mais pour la libération de la société de ce pouvoir. »

L’Appel Social Mondial a été publié sur : http://appelsm.wordpress.com/appelsm-fr.pdf

Traduction tchèque faite par « Guerre de Classe »

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