Guerre de Classe 03/2016 : IRAK 1991 – Guerre de classe et encadrement bourgeois

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GdC3C’était il y a un quart de siècle, le 7 mars 1991 : le soulèvement prolétarien en Irak contre la guerre a montré au prolétariat du monde entier la seule voie à suivre pour éliminer à jamais les guerres. Comme toujours, de l’autre côté de la barricade sociale, toutes les forces mondiales du Capital ont agi comme un seul corps pour liquider l’autonomie de notre classe. Aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, la guerre continue de faire rage dans la région (Irak, Syrie, Kurdistan, etc.), et plus que jamais toutes les forces bourgeoises et étatiques peu ou prou coalisées (Turquie, Iran, monarchies du Golfe, USA, Russie, Union Européenne, Etat Islamique, organisations nationalistes…) se mobilisent pour écraser notre classe, soit directement et très prosaïquement sous un déluge de bombes, soit plus indirectement en réduisant sa lutte contre la misère et l’exploitation en une énième réforme des rapports sociaux capitalistes.

Nous profitons de cet anniversaire pour republier deux textes qui font le bilan des luttes extraordinaires qui embrasèrent l’Irak et qui mirent fin à ladite « Guerre du Golfe ». Le texte « Dix jours qui ébranlèrent l’Irak » a été publié en 1991 et constitua une des premières sources d’information en anglais sur les soulèvements en Irak du sud et au Kurdistan. Il fut plus tard publié dans le magazine du défunt groupe Wildcat. Le second texte « Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 en Irak », publié par le Groupe Communiste Internationaliste (GCI), tente de tirer quelques enseignements de ces luttes. Nous recommandons au passage la lecture des innombrables textes publiés par le GCI tant avant, pendant et après la « Guerre du Golfe », textes qui recèlent et révèlent toute la richesse des luttes de classe dans la région.

Nous insistons spécialement sur les leçons de l’insurrection à Soulaymania dont l’enjeu a été, comme toujours, comment développer la révolution dans tous les aspects de la vie sociale une fois cette insurrection accomplie, comment éviter la confiscation de la révolution sociale par sa transformation en une simple « révolution » politique, un simple changement de gouvernement. Ce qui s’est passé en Irak ne montre pas seulement l’actualité de la contradiction capitalisme vs. communisme, mais son futur. Partout se développe l’inhumanité capitaliste, partout se joue la guerre comme alternative à la crise capitaliste actuelle, et partout inévitablement devra se dessiner et se développer la réponse communiste à la dictature permanente des rapports sociaux capitalistes.

Soulignons que ces luttes en Irak en 1991, tant au nord qu’au sud, ont été immédiatement taxés par tous les moyens de propagande de l’Etat capitaliste, y compris son important secteur social-démocrate, de luttes nationalistes (« kurdes ») et religieuses (« chiites »). Il n’y a rien de nouveau dans ce processus de négation… En effet, beaucoup des luttes des exploités ont été historiquement, sont encore aujourd’hui et continueront d’être aisément cataloguées comme des « luttes de libération nationale » ou des luttes « pour des réformes » sur base non pas du terreau profond qui les animent (la lutte contre la misère et l’exploitation, contre la répression), mais bien sur base de la capacité de certaines fractions bourgeoises à les instrumentaliser, à encadrer les faiblesses et le manque de perspective de ces luttes, ainsi que leur isolement, afin de les ramener dans le cadre d’un aménagement du mode de production et d’exploitation par le biais, ici en l’occurrence, de « la libération du peuple et de la nation ».

En Irak hier comme dans les luttes actuelles en Syrie ou au Rojava, une fois de plus, nous voulons mettre l’accent sur la dénonciation des idolâtres qui confondent révolution sociale, destruction de la propriété privée et de l’économie, lutte anticapitaliste et antiétatique (même à un niveau minoritaire et embryonnaire) d’un côté, et de l’autre tout le ramassis de sociaux-démocrates, réformateurs du vieux monde qui repeignent en rouge (et noir) la vile et infecte exploitation de notre classe et qui prétendent ainsi faire œuvre de révolution alors qu’ils ne font que vider notre lutte de sa substance subversive pour mieux en prendre la tête.

Pour notre part, nous continuons à dénoncer le soutien inconditionnel apporté par le gauchisme international (dont d’importants secteurs de « l’anarchisme » ainsi que toutes les chapelles marxistes-léninistes qui se situent sur la même ligne) à des groupes, des organisations, des structures réformistes qu’ils présentent effrontément et faussement comme étant révolutionnaires, antiétatiques, anticapitalistes. Nous ne pouvons qu’afficher notre profond mépris à tous ces charlatans de la lutte de classe et leurs innombrables impostures. Mais nous adressons également toute notre solidarité militante aux prolétaires en lutte à contre-courant, que ce soit au Rojava en particulier, au Kurdistan et au Moyen-Orient en général, et partout ailleurs dans ce monde infâme de l’exploitation. Nous voulons aussi développer la critique communiste avec eux. Car nous savons que derrière les analyses sociologiques et les étiquettes politiques que nos ennemis collent sur nos luttes, c’est encore et toujours la lutte de classe, la guerre de classe qui se matérialise.

# Guerre de Classe – Mars 2016 #

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Dix jours qui ébranlèrent l’Irak

(Wildcat – 1991)

La guerre du Golfe ne prit pas fin par la victoire de l’Amérique et des alliés. Elle prit fin par la désertion en masse de milliers de soldats irakiens. Le refus de combattre pour l’Etat irakien de la part des conscrits était si écrasant que, contrairement à toutes les prévisions, pas un seul soldat allié ne fut tué par des tirs hostiles lors de la phase finale de l’assaut terrestre pour reconquérir le Koweït. En effet, l’ampleur absolue de cette mutinerie est peut-être sans précédent dans l’histoire militaire moderne.

Mais ces troupes mutinées ne firent pas que s’enfuir vers l’Irak. Sur leur retour, beaucoup d’entre elles tournèrent leurs armes contre l’Etat irakien, allumant un soulèvement simultané à la fois dans le sud de l’Irak et dans le Kurdistan au nord. Seule la région centrale demeura fermement dans les mains de l’Etat dans les deux semaines qui suivirent la fin de la guerre.

Depuis le tout début, les médias occidentaux ont grossièrement déformé ces soulèvements. Le soulèvement dans le sud, centré à Bassorah, fut montré comme une révolte des musulmans chiites tandis que l’insurrection dans le nord était relatée exclusivement comme un soulèvement nationaliste kurde qui ne demandait rien de plus qu’une région kurde autonome au sein de l’Irak.

La vérité est que ces soulèvements au nord comme au sud de l’Irak étaient des insurrections prolétariennes.

Bassorah est une des zones les plus sécularisée du Moyen Orient. Presque personne ne va dans les mosquées à Bassorah. Les traditions radicales dans cette zone ne sont pas celles du fondamentalisme islamique mais plutôt celles du nationalisme arabe et du stalinisme. Le Parti Communiste Irakien est le seul parti bourgeois avec une influence signifiante dans la région. Les villes de Bassorah, Nasiriyah et Hillah sont connues depuis longtemps comme la région du parti communiste et ont une longue histoire de rébellion à la fois contre la religion et l’Etat. La classe ouvrière « irakienne » a toujours été une des plus remuantes dans cette région explosive.

Dans le nord, il y a peu de sympathie pour les partis nationalistes, le PDK et l’UPK, et leurs peshmergas (mouvements de guérilla) à cause des échecs répétés de leurs compromis avec l’Etat irakien. Cela est particulièrement vrai dans la zone de Sulaymaniyah. Les habitants de cette zone ont été spécialement hostiles aux nationalistes depuis le massacre de Halabja. Avant l’attaque chimique par l’aviation irakienne contre les déserteurs et les civils de la ville de Halabja en 1988, les peshmergas avaient d’abord dissuadé les gens de fuir et, ensuite, ils vinrent piller et violer ceux qui avaient survécu au massacre. En conséquence, de nombreux villageois ont depuis lors refusé de nourrir et d’abriter les peshmergas nationalistes. Comme dans le sud, le Parti Communiste et ses peshmergas sont plus populaires.

Le soulèvement dans le nord n’était pas nationaliste. A son début, les officiels baasistes et les membres de la police secrète furent exécutés, les dossiers de la police furent détruits et les prisons ravagées. Les gens étaient ouvertement hostiles aux politiques bourgeoises des nationalistes kurdes. A Sulaymaniyah, les peshmergas nationalistes furent exclus de la ville et le leader en exil de l’Union Patriotique du Kurdistan, Jalal Talabani, fut dissuadé de revenir dans sa ville natale. Quand le dirigeant du Parti Démocratique kurde, Massoud Barzani, vint à Chamcharnal, près de Sulaymaniyah, il fut attaqué et deux de ses gardes du corps furent tués. Quand les nationalistes diffusèrent le slogan : « Il est temps de tuer les baasistes ! », le peuple de Sulaymaniyah répondit avec le slogan : « Il est temps pour les nationalistes de piller les Porsches ! », signifiant que les nationalistes étaient uniquement intéressés par le pillage.

Un groupe révolutionnaire, « Perspective Communiste », joua un rôle majeur dans l’insurrection. Dans leur publication, « Prolétariat », ils défendirent la mise en place de conseils ouvriers. Cela provoqua la peur et la colère parmi les nationalistes aussi bien que parmi le Parti Communiste et ses groupes scissionnistes.

Confrontés à ces soulèvements prolétariens, les divers intérêts bourgeois dans la région durent suspendre les hostilités et s’unir pour les supprimer. Il est bien connu que l’Occident, mené par les USA, a longtemps soutenu le régime brutal de Saddam Hussein. Ils l’ont soutenu durant la guerre contre l’Iran.

En soutenant Saddam, la classe dirigeante occidentale reconnaissait aussi que le parti Baas, en tant que parti fasciste de masse, était la seule force en Irak capable de réprimer de manière impitoyable le prolétariat de la production pétrolière.

Toutefois, l’ultime stratégie de Saddam pour maintenir la paix sociale en Irak était une campagne de guerre permanente et la militarisation de la société. Mais une telle stratégie pouvait seulement mener à une ruine économique plus importante et à l’intensification des antagonismes de classe. Au printemps 1990, la contradiction était devenue explosive. L’économie irakienne était anéantie après huit ans de guerre avec l’Iran. La production pétrolière, la principale source de devises fortes, était réduite tandis que les prix du pétrole étaient relativement bas. Les seules options, une fois la paix revenue, pour tenir les promesses de prospérité faites en temps de guerre étaient une hausse du prix du pétrole ou une nouvelle guerre. Le dernier choix était bloqué par le Koweït et l’Arabie Saoudite. Le saut audacieux de Saddam pour sortir de l’impasse fut d’annexer le Koweït et ses riches champs de pétrole.

Cela donna à l’Amérique l’opportunité de réaffirmer son hégémonie politique, pas seulement au Moyen Orient, mais aussi dans le monde entier. Avec l’espoir d’exorciser le spectre de la guerre du Vietnam, le régime de Bush prépara la guerre totale. L’administration Bush espérait une victoire rapide et décisive qui expulserait l’Irak du Koweït tout en laissant le régime irakien intact. Toutefois, afin de mobiliser le front intérieur pour la guerre, Bush devait assimiler Saddam à Hitler et il s’engagea ainsi de plus en plus publiquement en faveur du renversement du leader irakien.

Avec cet engagement le gouvernement américain cherchait maintenant à imposer une telle défaite militaire au parti baasiste qu’il serait obligé de remplacer Saddam par quelqu’un d’autre. En effet, le régime de Bush invitait ouvertement les cercles dirigeants en Irak à remplacer Saddam Hussein à l’approche de la guerre terrestre en mars. Toutefois la désertion en masse des conscrits irakiens et les soulèvements ultérieurs volèrent le gouvernement américain d’une telle victoire commode. Au lieu de cela, il devait faire face à la perspective d’un soulèvement tournant à la révolution prolétarienne de grande envergure, avec toutes les conséquences terribles que cela pouvait avoir pour l’accumulation du capital au Moyen Orient.

La dernière chose que le gouvernement américain voulait, c’était être embarqué dans une occupation militaire prolongée de l’Irak dans le but d’en finir avec les soulèvements. Il était beaucoup plus efficace de soutenir l’Etat en place. Mais il n’était alors plus temps d’insister sur le renversement de Saddam Hussein. Il pouvait difficilement se permettre la perturbation que cela causerait. De là, l’hostilité de Bush au boucher de Bagdad s’évapora, presque du jour au lendemain. Les deux bouchers rivaux devinrent partenaires.

Leur première tâche fut d’écraser le soulèvement dans le sud qui était grossi par les énormes colonnes de déserteurs remontant en flots vers le nord depuis le Koweït. Même si ces conscrits irakiens en fuite ne constituaient pas une menace militaire pour les troupes alliées, ni pour l’objectif de « libérer » le Koweït, la guerre fut prolongée suffisamment longtemps pour qu’ils puissent être écrasés sous un tapis de bombe par la RAF et l’USAF sur la route de Bassorah. Ce massacre de sang-froid ne servait pas d’autre but que préserver l’Etat irakien des déserteurs mutinés et en armes.

Après ce massacre, les forces terrestres alliées, qui s’étaient emparées du sud de l’Irak pour encercler le Koweït, stoppèrent près de Bassorah et lâchèrent la bride aux Gardes Républicains, les troupes d’élite loyales au régime irakien, qui écrasèrent les insurgés. Toutes les propositions d’infliger une défaite décisive aux Gardes Nationaux ou à avancer vers Bagdad pour renverser Saddam furent vite oubliées. Lors des négociations de cessez le feu, les forces alliées insistèrent sur le maintien au sol de tous les avions mais l’utilisation des hélicoptères, vitaux pour la contre-insurrection, fut autorisée pour des « buts administratifs ». Cette « concession » fit la preuve de son importance dès lors que le soulèvement dans le sud fut écrasé et que l’Etat irakien put tourner son attention sur l’insurrection qui avançait dans le nord.

Alors que le soulèvement à Bassorah fut écrasé presque à ses débuts, le soulèvement au nord eut plus de temps pour se développer. Il commença à Raniah et s’étendit à Sulaymaniyah et Kût, et à son apogée, il menaça de s’étendre au-delà du Kurdistan vers la capitale. Le but originel du soulèvement était exprimé par le slogan : « Nous célèbrerons notre nouvel an avec les arabes à Bagdad ! ». La défaite de cette rébellion est due autant aux nationalistes kurdes qu’aux pouvoirs occidentaux et à l’Etat irakien.

Comme tous les mouvements nationalistes, les nationalistes kurdes défendent les intérêts des classes possédantes contre la classe ouvrière. La plupart des leaders nationalistes kurdes viennent de très riches familles. Par exemple, Talabani vient d’une dynastie mise en place à l’origine par les anglais et ses parents possèdent des hôtels de luxe en Angleterre. Le PDK fut créé par de riches exilés chassés du Kurdistan par les soulèvements de masse de la classe ouvrière en 1958 lorsque des centaines de propriétaires terriens et de capitalistes furent pendus. Ces évènements agités eurent comme conséquence une rencontre de bourgeois exilés à Rezaieh, en Iran, qui organisèrent des escadrons de la mort pour tuer des militants de la lutte des classes au Kurdistan irakien. Plus tard, ils se livrèrent à des meurtres racistes d’arabes. Durant la guerre Irak-Iran, très peu de déserteurs rejoignirent les nationalistes et l’UPK reçut une amnistie de la part de l’Etat irakien pour avoir réprimé les déserteurs.

Ces nationalistes kurdes, comme la bourgeoisie internationale, reconnaissaient l’importance d’un État irakien fort dans le but de maintenir l’accumulation du capital contre une classe ouvrière militante. Et ce à un tel point, en fait, qu’ils demandaient simplement le statut de région autonome à l’intérieur d’un Irak uni.

Durant le soulèvement, ils firent de leur mieux pour défendre l’Etat irakien. Ils sont activement intervenus pour empêcher la destruction des dossiers de la police et des propriétés d’Etat, y compris les bases militaires. Les nationalistes empêchèrent les déserteurs arabes de se joindre au soulèvement « kurde », ils les désarmèrent et les renvoyèrent vers Bagdad pour y être arrêtés. Ils firent tout ce qu’ils pouvaient pour éviter que le soulèvement ne s’étende au-delà des « frontières » du Kurdistan, ce qui constituait son unique espoir de succès. Quand l’Etat irakien commença à s’occuper du soulèvement au Kurdistan, les stations de radios nationalistes n’encouragèrent pas, ni ne coordonnèrent la résistance. Au contraire, elles exagérèrent la menace représentée par les troupes irakiennes démoralisées qui étaient encore loyales au gouvernement et conseillèrent aux gens de fuir dans les montagnes. Ce qu’ils firent finalement. Rien de tout cela n’est surprenant si l’on analyse l’histoire des nationalistes.

Bien qu’il y ait beaucoup d’hostilité envers les nationalistes kurdes, comme nous l’avons vu, ils furent capables de prendre le contrôle et de stopper l’insurrection au Kurdistan grâce à leur organisation et à leurs ressources matérielles importantes. Ayant été longtemps soutenus par l’occident, le PDK par les USA et l’UPK par la Grande-Bretagne, les partis nationalistes kurdes étaient en mesure de contrôler l’approvisionnement en nourriture et l’information. Cela était vital car après des années de privations, exacerbées par la guerre, la recherche de nourriture était un souci primordial. De nombreuses personnes furent satisfaites principalement par les pillages de nourriture plutôt que par le maintien d’une organisation révolutionnaire et le développement de l’insurrection. Cette faiblesse permit aux organisations nationalistes d’intervenir avec leurs importants approvisionnements en nourriture et leurs stations de radio bien établies.

La guerre dans le Golfe prit fin du fait du refus de combattre de la classe ouvrière irakienne et par les soulèvements qui en découlèrent en Irak. Mais ces actions prolétariennes furent écrasées par les efforts combinés de nombreuses et diverses forces bourgeoises nationales et internationales. Une fois de plus le nationalisme a constitué la pierre d’achoppement de l’insurrection prolétarienne. Il est important de souligner que la politique au Moyen Orient n’est pas dominée par le fondamentalisme islamique et le nationalisme arabe, comme cela est d’ordinaire affirmé par la presse bourgeoise, mais qu’elle repose sur le conflit de classe. Il faut dire également que les perspectives immédiates concernant le développement de la lutte de la classe ouvrière en Irak sont, pour l’heure, lugubres.

La guerre n’eut pas pour seul résultat la défaite de la classe ouvrière irakienne, elle révéla aussi l’état de défaite de la classe ouvrière aux USA et, à un moindre degré, en Europe. Le mouvement anti-guerre occidental ne se transforma jamais en une opposition massive de la classe ouvrière à la guerre. Il demeura opposé par une orientation pacifiste qui « s’opposa » à la guerre dans les termes d’un intérêt national alternatif : « La paix est patriotique ». Bien qu’il exprima de l’horreur pour l’holocauste des alliés, il n’y opposa rien qui puisse l’amener à une confrontation avec l’Etat. Au lieu de cela il se concentra sur de futiles protestations symboliques qui favorisèrent le sentiment d’impuissance face à la machine de guerre étatique.

A la suite de la défaite de l’insurrection, la déformation des faits par les médias occidentaux continua. Le prolétariat fut représenté par des victimes sans ressources, mûres pour la condescendance et la charité, reconnaissantes pour les spectacles de pop stars enfourchant une nouvelle fois le cheval du Live Aid. Pour ceux qui se souvenaient du soulèvement, un tee-shirt « Let It Be… Kurdistan » constitua la réponse évidente. Pendant que le soulèvement était défait, nous ne pûmes éviter que ses objectifs et la manière utilisée pour l’écraser soient déformés sans coup férir, d’où ce texte.

L’incapacité de la classe ouvrière à reconnaître ses propres intérêts de classe comme étant différents de « l’intérêt national » et à saboter l’effort de guerre peut seulement aboutir à approfondir, au sein de notre classe internationale, les divisions le long de lignes nationales. Nos dirigeants seront désormais beaucoup plus confiants dans la conduite, sans opposition, de guerres meurtrières ailleurs dans le monde, une confiance qui leur faisait défaut depuis que la classe ouvrière avait mis fin à la guerre du Vietnam par des mutineries, des désertions, des grèves et des émeutes.

L’opposition à la guerre en Irak

Il y a eu une longue tradition de lutte de classe en Irak, particulièrement depuis la révolution de 1958. Avec la stratégie de Saddam de mener une politique guerrière permanente en vue de maintenir la paix sociale, cette lutte a souvent pris la forme d’une désertion en masse de l’armée. Durant la guerre Irak-Iran, des dizaines de milliers de soldats ont déserté l’armée. Cela a grossi l’opposition de masse de la classe ouvrière à la guerre. Avec le manque de fiabilité de l’armée, il devint progressivement difficile pour l’Etat irakien d’écraser ces rébellions de la classe ouvrière. C’est pour cette raison que Saddam Hussein utilisa des armes chimiques contre la ville d’Halabja en 1988.

A la suite de l’invasion du Koweït, il y eut beaucoup de manifestations contre la poursuite de son occupation. Même le parti Baas dirigeant fut obligé d’organiser de telles manifestations sous le slogan : « Non au Koweït : nous voulons seulement Saddam et l’Irak ! », et ce dans le but de prendre la tête du sentiment anti-guerre. Avec la hausse dramatique du prix des produits de première nécessité – rien que les prix de la nourriture augmentèrent de 20 fois par rapport à leurs niveaux d’avant l’invasion – il y avait peu d’enthousiasme pour la guerre. L’attitude commune à travers l’Irak était le défaitisme.

Malgré une augmentation de 200% de la solde, la désertion de l’armée devint commune. Rien que dans la ville de Sulaymaniyah, on estimait à 30.000 le nombre de déserteurs. A Kût, ils étaient 20.000. La désertion était si répandue qu’il devint relativement aisé pour les soldats de soudoyer leurs officiers pour quitter l’armée. Mais ces conscrits de la classe ouvrière ne faisaient pas que déserter, ils s’organisaient. A Kût, des milliers d’entre eux marchèrent sur le commissariat local et forcèrent la police à mettre fin au harcèlement des déserteurs.

Deux jours après le début du conflit, des émeutes anti-guerre éclataient à Raniah et plus tard à Sulaymaniyah.

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Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 en Irak

(Groupe Communiste Internationaliste – 1996)

Quelques notes sur les shoras : associationnisme prolétarien et récupération bourgeoise

Les shoras en Irak, comme tout type de regroupement élémentaire du prolétariat, sont une forme nécessaire du processus de centralisation de la force du prolétariat, et souffrent de toutes les contradictions que notre classe contient elle-même en tant que classe, en tant que force antagonique au Capital dominée idéologiquement par la bourgeoisie. Ainsi par exemple, les soviets en Russie. En 1905 comme en 1917, ils constituèrent des structures de lutte prolétarienne contribuant à l’insurrection sans opérer, ni en 1905 ni 12 ans plus tard les nécessaires ruptures avec le terrain du socialisme démocratique bourgeois et sans prendre leur indépendance vis à vis des organisations politiques qui les dirigeaient. Cela leur valu, en dernière instance, d’être totalement récupérées par l’organisation capitaliste et démocratique de l’Etat, sous le règne du léninisme et du post-léninisme. Lorsqu’on fait l’apologie des soviets, on oublie toujours, comme par enchantement, que le Congrès des Soviets approuva et outilla tous les niveaux de la politique stalinienne. La même chose se produit en Allemagne avec les conseils ouvriers entre 1918 et 1921. Effectivement surgis comme structures de la lutte en dehors et contre les syndicats, les conseils n’en finirent pas moins dominés par la démocratie bourgeoise incarnée par les différentes forces sociale-démocrates, et ils se transformèrent en structures de l’organisation de l’Etat bourgeois contre le prolétariat.

En Irak également (tout comme en Iran entre 1979 et 1982), les shoras, surgis du feu de la lutte, contiennent d’énormes contradictions, et les oppositions de classe entre révolution et contre-révolution se délimitent en leur sein même. C’est pourquoi, contrairement aux conseillistes, aux soviétistes,… qui font l’apologie acritique des shoras, nous avons tenté de saisir, dans ce processus, les forces et les faiblesses du prolétariat, en soutenant et en agissant ouvertement dans le sens de l’affirmation du pôle révolutionnaire.

Comme on a pu le constater au travers de leurs consignes et drapeaux, les shoras concentrent le même type de forces et de faiblesses que les conseils, les soviets et autres organisations prolétariennes caractéristiques des moments insurrectionnels. A côté d’un ensemble de demandes démocratiques, nationalistes et même parfois ouvertement conservatrices, on trouve un ensemble de consignes exprimant la combativité, la force et la détermination classiste des prolétaires en lutte.

Les shoras se structurent dans et pour la lutte. Néanmoins cela ne veut pas dire qu’ils aient surgis de façon spontanée, comme le prétendent toujours les tenants du spontanéisme ou du conseillisme. La nécessité historique spontanée, comme dans le cas des soviets de Russie ou des conseils dans d’autres pays, se concrétise toujours dans des hommes et des femmes de chair et de sang qui, de façon consciente et volontaire, organisent ces structures. Comme nous le verrons plus loin, le surgissement des shoras fut précédé par une « ligue » ou comité formé d’une minorité insurrectionnaliste organisée pour la préparation insurrectionnelle.

De quelques éléments de la conspiration révolutionnaire et de l’insurrection à Soulaymania

Lors que dans les différents quartiers de Soulaymania les prolétaires se préparent, s’arment, un ensemble de militants regroupés dès avant la lutte ouverte en une « Ligue du soulèvement insurrectionnel » appellent à la création de shoras dans les quartiers et les usines. On arrive ainsi à la constitution d’un véritable comité insurrectionnel grâce auquel s’unifie la décision du déclenchement de l’insurrection pour un moment précis. Ce comité est composé d’un ensemble d’organisations politiques existantes ainsi que de militants indépendants. Il planifie l’éclatement simultané de l’insurrection en 53 points névralgiques de la ville (carrefours clés, rotondes, points centraux des quartiers,…) qui constitueront par la suite la base des shoras. Pour le moment, les nationalistes ne participent pas en tant que tel au comité et ne s’affichent pas dans les différents centres des quartiers de l’insurrection.

Seule une minorité de prolétaires est armée et organisée, et c’est pourquoi le comité lance un ensemble d’appels et de directives pour récupérer les armes là où elles se trouvent. En même temps, un ensemble d’organisations révolutionnaires assument l’indispensable rôle de s’armer et d’armer le prolétariat. « Perspective Communiste », par exemple, se charge de répartir quelques grenades, armes et munitions aux points névralgiques, ainsi que d’armer certains membres du comité. D’autres groupes, comme le « Groupe d’Action Communiste » (G.A.C.), qui participent au comité ainsi qu’aux différentes structures de quartiers et aux shoras, se donnent pour tâche d’exproprier les chefs de clans de leurs maisons et de leurs centres armés pour récupérer les armes et armer le prolétariat. Sans la préalable action conspiratrice et cette action d’avant-garde organisée, il n’aurait pas été possible de gagner la bataille insurrectionnelle de mars 1991 à Soulaymania.

Voici ce que nous en dit un camarade :

« Le prolétariat cherchait désespérément des armes mais seules les forces communistes, marxistes armèrent le prolétariat et décidèrent l’insurrection. Les nationalistes n’y participèrent pas. Nous, nous nous sommes organisés par groupes pour attaquer les maisons des chefs de clans. En général chaque détachement ne possédait qu’un seul bazooka et des armes légères. L’attaque commença au bazooka et on chercha à atteindre le plus vite possible les dépôts d’armes. Il y avait déjà pas mal de temps que nous en avions fait l’inventaire et c’est pourquoi nous savions où se trouvaient les armes. Un autre aspect important de la préparation effectuée par les groupes révolutionnaires fut la mise à disposition de l’insurrection d’un ensemble « d’hôpitaux » de campagne pour soigner les blessés. »

Mais, malgré tout cela, l’organisation et l’armement restent nettement insuffisant, ce qui, dans certain cas, se paye du côté du prolétariat par des morts et des blessés et par des défaites partielles.

Un autre camarade nous donne sa version :

« Je ne me suis rendu compte de la préparation de l’action insurrectionnelle que deux jours avant, lorsqu’un camarade révolutionnaire me donna différentes consignes précises : je devais aller le 7 à 8h du matin à tel endroit armé comme je le pouvais. Quand je suis arrivé à la concentration, nous n’étions que 7. A ce moment-là, je me suis dit qu’on ne pourrait pas gagner ; plus tard, j’ai su que la majorité du comité avait lâché l’insurrection, pensant, elle aussi, qu’on ne pourrait pas triompher, mais que de toute façon ce serait un pas important dans la lutte et l’autonomie du prolétariat. Un instant plus tard apparurent deux camarades de Rawti (« Perspective Communiste »), nous appelant et nous encourageant à nous rassembler pour l’insurrection. Ils distribuèrent des grenades. Tous ensemble nous avons parcouru les rues proches de cet endroit en appelant à la lutte et nous avons réuni en un instant quelques 50 à 60 personnes. C’est alors qu’arrivèrent deux peshmerghas bien armés[1]. Les insurgés les appelèrent et leur crièrent de se joindre au mouvement mais ils ne le firent pas. Bien que nous étions un petit groupe et en infériorité totale point de vue armement, nous attaquâmes la caserne du quartier. Mais elle était trop bien protégée. Nous avons fui, repoussés et pourchassés ensuite. Notre camarade Bakiry Kassab, militant de « Perspective Communiste », mourut au cours de cette attaque. Nous nous sommes dispersés de manière tout à fait désordonnée et on a couru aussi vite qu’on pouvait. L’ennemi, mieux armé, nous poursuivait et nous fûmes encerclés jusqu’à ce que nous arrivions sur le grand boulevard. Une fois arrivés là, une grande surprise nous attendait : l’insurrection gagnait du terrain et c’étaient les baasistes qui reculaient. »

Ces faits comme tant d’autres que nous ont rapportés différents camarades ou structures de lutte, nous permettent d’affirmer que, malgré l’existence de ce comité insurrectionnel, d’abord dynamisateur de la structure des shoras, puis centralisateur de ces derniers, malgré l’existence de ce comité, la centralisation réelle reste très relative. Il y a énormément d’aspects chaotiques et beaucoup de combattants prolétariens sortent dans les rues avec ce qu’ils ont sous la main, sans autre structure de centralisation que celle rencontrée « spontanément » dans la rue, sans autre consigne que celle donnée par un ami d’aller à tel endroit. Les détachements de prolétaires armés se constituent très rapidement pour faire telle ou telle action et puis se dispersent ; souvent les camarades qui se trouvent du même côté de la tranchée sans se connaître au préalable tissent des liens profonds et, après l’insurrection, se structurent en organisation politique. C’est précisément l’existence de tous ces groupes d’action hétérogènes participant à des actions tellement différentes, qui empêche de se faire une idée globale du mouvement : il n’y a pas deux protagonistes qui aient vécu la même situation et encore bien moins qui aient perçu politiquement la même chose. Ainsi par exemple, certaines versions insistent beaucoup sur l’autonomie opérationnelle des petits groupes centralisés par différentes structures combattantes (« Perspective Communiste », G.A.C.,…) comme élément décisif de l’insurrection, d’autres insistent plus sur la force des quelques 30.000 prolétaires (dont seuls quelques-uns possèdent une arme) qui répondent à l’appel d’un shora et se rassemblent dans leur « quartier général », l’école Awat. D’après ces derniers, cette assemblée sera décisive dans la dynamisation de tout le processus parce que c’est de là qu’on partira et qu’on gagnera les batailles importantes. Pour donner une idée de la conscience qui anime ces prolétaires (tant comme force que comme faiblesse), voici quelques-unes des consignes qui prédominèrent dans l’assemblée :

« La conscience de classe est l’arme de la liberté ! »

« Ceci est notre quartier général, la base des conseils ouvriers ! »

« Faites des shoras votre base pour la lutte à long terme ! »

« Formez vos propres conseils ! »

« Apportez les marchandises et la nourriture expropriées, nous la distribuerons ici ! »

« Exploités, révolutionnaires, donnons notre sang pour le succès de la révolution ! Continuons ! Ne le dilapidons pas ! »

Malgré les contradictions, l’insurrection va en s’imposant, les forces répressives subissent de nombreuses pertes dans plusieurs affrontements. Souvent, elles sont liquidées dans leur propre maison. Mais c’est dans le fameux bâtiment rouge et dans les baraquements qui l’entourent que l’ennemi se concentre pour défendre sa peau, et c’est là qu’une immense bataille fait rage avec de nombreuses pertes des deux côtés. Les insurgés attaquent sans plan d’ensemble, ils tirent dans tous les sens, blessant et tuant de nombreux combattants dans leurs propres rangs (les nôtres !).

Les forces de sécurité n’ignorent pas que la reddition équivaut à la mort, aussi jouent-elles le tout pour le tout, sachant parfaitement que, bien qu’armées jusqu’aux dents, leur tâche sera très difficile. Jusqu’au dernier moment, elles resteront en communication permanente avec Bagdad qui promet l’arrivée imminente de renforts. Profitant de la terrible carence en armes du côté du prolétariat insurgé, les militaires jettent des armes par les fenêtres de l’édifice rouge. Des centaines et des centaines de prolétaires se précipitent pour s’en emparer, s’exposant ainsi, cibles faciles, aux tirs des militaires bien armés et bien postés. Ce qui accroit encore le nombre de victimes du côté de l’insurrection[2].

Mais la rage et la détermination du prolétariat est si grande que finalement la résistance est écrasée et qu’il se rend maître de toute la ville. Pas à pas, le bâtiment rouge, tous les baraquements et toutes les maisons du quartier militaire sont conquis. Sur les façades, les impacts et les trous laissés par les balles témoignent de la guerre de classe. Les militaires survivants à l’attaque sont sortis un à un et jugés. Certains camarades avancent aujourd’hui le chiffre de 600 militaires fusillés, d’autres soutiennent qu’il y eut 2.000 militaires exécutés, mais sans doute parlent-ils de l’ensemble des affrontements et exécutions de militaires de ces journées dans toute la ville.

Il est important de comprendre que c’est au cœur de l’action, dans ces moments-mêmes où les prolétaires assument ces actes exemplaires, que se joue la lutte pour l’autonomie du mouvement. En effet, bien que pendant tout ce temps les nationalistes ne participent pas de manière organisée au processus, on n’arrive pas à se passer d’eux et encore moins à les affronter ouvertement comme le réclament les noyaux révolutionnaires internationalistes de la région. Ainsi, le fait que certains combattants prolétariens aillent consulter les chefs de l’Union Patriotique Kurde (UPK) dans les montagnes pour savoir que faire avec les militaires et les tortionnaires qui se rendent, reflète et exprime clairement la contradiction du mouvement et l’ambivalence des shoras. Noshirwan, le chef militaire de l’UPK, insiste pour que l’ennemi ne soit pas exécuté, arguant que « l’on pourra l’utiliser plus tard » ( !?!). Des faits similaires se reproduiront par la suite, exprimant l’ambivalence de certains shoras. Le manque de confiance du prolétariat en lui-même l’incite à demander à ses pires ennemis de prendre les décisions et la direction des opérations ; plusieurs secteurs du prolétariat, non conscients de leur propre force, se tournent vers l’opposition officielle qui leur semble sérieuse et efficace. D’autres membres des shoras adoptent, quant à eux, la position antithétique : ils veulent tuer les militaires et traîner leur cadavre dans les rues pour que tout le monde sache « le genre de tortures que ces assoiffés de sang sont capables d’infliger aux prolétaires ». Finalement, et exception faites de quelques tortionnaires connus pour leur cruauté qui seront mis en pièce par les insurgés, c’est la liquidation pure et simple qui s’impose, non sans problèmes et discussions houleuses au sujet de qui mérite la mort. En effet, comme dans beaucoup d’autres villes du Kurdistan, les forces répressives baasistes vivent concentrées dans leurs quartiers : on y torture, on y tue,… et, à quelques mètres de là, dorment, mangent, vivent les familles des tortionnaires. Elles sont tellement haïes qu’elles ne pourraient pas vivre ailleurs. De plus, la majorité des familles de tortionnaires (et particulièrement les femmes) participent aux tortures. Les bâtiments (l’édifice central, les lieux d’interrogatoires, les maisons familiales, les centres de tortures) sont disposés de manière telle qu’il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse vivre là sans participer d’une manière ou d’une autre à la torture et à l’assassinat des prisonniers. Lorsque le prolétariat prend possession de ces locaux, il arrive qu’il ne prenne pas le temps de discuter ou de juger, la haine de classe est telle que certains groupes exécutent tous ceux qui se trouvent à l’intérieur sans autre critère que celui de la barricade physique. Mais, dans la plupart des cas, des critères plus classistes sont imposés. Ainsi, à Soulaymania, on laisse la vie sauve aux enfants et à certaines femmes qui n’ont pas participé aux tortures et aux exécutions de prisonniers ; ils peuvent sortir du bâtiment avant l’exécution massive des militaires tortionnaires et de leur famille complice.

L’insurrection s’étend comme une traînée de poudre, des soulèvements similaires se produisent dans d’autres villes où l’insurrection triomphe également. A Arbil, 42 shoras sont créés et en trois heures de combats seulement les prolétaires armés se rendent maître de la situation. Ensuite ce sont Kalar, Koya, Shaqlawa, Akra, Duhok, Zakho,… Les casernes proches des villes, comme les énormes installations militaires de Soulaymania, centre stratégique de toute la région, sont encerclées par les déserteurs et d’autres prolétaires en armes. Les forces centrales parviennent à sauver plusieurs officiers de l’armée en les recueillant par hélicoptères. Le reste, la masse des soldats, se rend sans combattre et la majorité passe aux côtés de l’insurrection.

Les limites de l’action prolétarienne et l’action contre-révolutionnaire des nationalistes

Si le niveau de conscience, d’organisation et de centralisation du prolétariat fut suffisant pour faire triompher l’insurrection, il n’en a pas été de même en ce qui concerne l’assumation de l’essence de la révolution, à savoir : organiser la vie quotidienne et s’imposer dictatorialement contre le Capital dans les endroits où l’on va triomphant. Comme en d’autres circonstances historiques où la constitution du prolétariat en parti est insuffisante et où il n’est pas bien centralisé en une direction communiste, au Kurdistan, les forces bourgeoises prennent la direction de l’action, liquident l’autonomie du prolétariat et finissent par exproprier la révolution pour la transformer en une « révolution » bourgeoise (une « révolution » exclusivement politique), ou mieux dit, en une anti-révolution, un ravalement de la façade de l’Etat, un changement de fractions au pouvoir afin que l’essence de ce système d’exploitation se maintienne.

Les nationalistes ne commencent à participer activement à l’action directe avec présence effective dans la rue que deux ou trois jours après le triomphe de l’insurrection. Leur premier acte consiste à prendre l’argent des banques et les véhicules militaires, à occuper les bâtiments et autres propriétés abandonnés par le gouvernement, dont les prolétaires se sont emparés et qu’ils ont ensuite abandonnés également[3]. Cet abandon de propriétés, d’armes lourdes, de véhicules,… révèle que s’il est capable de lutter contre un ennemi, le prolétariat n’a pas encore la force de lutter pour lui-même, d’assumer la direction de la révolution qu’il a entamée. Autrement dit, notre classe exprime par là sa conception de la révolution : une négation encore purement négative du monde actuel, un simple rejet, une simple négation, sans affirmation de tout ce que la négation révolutionnaire de ce monde contient de négation positive. Le prolétariat a la force d’exproprier mais pas celle de se réapproprier ce qu’il a exproprié ni de le transformer révolutionnairement en fonction de ses objectifs révolutionnaires universels. Comme en Russie en 1917, le politicisme constitue une idéologie dominante au sein même des prolétaires les plus décidés. On sait quoi faire contre les baasistes mais quand il s’agit d’affronter socialement le Capital, on est perdu. Cette limite générale résulte d’une confusion (largement répandue dans notre classe) qui amalgame systématiquement l’Etat et les baasistes, la lutte contre le Capital et la lutte contre le gouvernement,… Cette confusion généralisée que les fractions communistes et internationalistes n’eurent pas la force de liquider a été précieusement maintenue et développée par les nationalistes. Et elle leur est aujourd’hui encore d’une toute grande utilité.

Une fois les centres névralgiques de la ville occupés, les armes lourdes et les véhicules militaires contrôlés par les nationalistes, le reste n’est plus qu’une question de temps. En quelques jours (entre le 7 et le 20 mars), les nationalistes, qui n’étaient jusque là qu’une force peu présente et « suivaient » la masse, prennent progressivement le contrôle de la situation. Les groupes révolutionnaires et les prolétaires les plus actifs sont incapables de donner et d’assumer des directives militaires claires. Ils ne savent que faire des casernes, des tanks et des véhicules militaires. Ils se contentent de se munir de munitions et d’armes légères et, dans le meilleur des cas, ils incendient les véhicules pour empêcher que les nationalistes ne s’en emparent. Non seulement ils ne se donnent pas les moyens de contrôler la production et la distribution de ce qui est nécessaire à la vie, mais en plus ils ne s’approvisionnent même pas du minimum indispensable en aliments, médicaments, moyens de propagande, etc.

A leur arrivée dans la ville, les nationalistes appellent à la dissolution des shoras, mais ils n’obtiennent aucun résultat ; plus tard, en position de force, après s’être emparés des centres névralgiques, ils utiliseront la méthode beaucoup plus efficace de la négociation et auront le prolétariat à l’usure. Si, comme on l’a vu plus haut, il y a des shoras dominés ou fortement influencés par les positions démocratiques et nationalistes, la Centrale, malgré la participation de partis et d’organisations bourgeois, se définit « pour le communisme », pour « l’abolition du travail salarié » et prend ouvertement position contre les nationalistes.

Peu à peu, et à mesure qu’ils structurent leur pouvoir effectif sur la ville avec l’appui et la bénédiction des forces d’intervention de la bourgeoisie mondiale, les nationalistes, qui n’ont toujours pas réussi à détruire les shoras, tentent de s’en emparer en y intégrant leurs militants et en y imposant leur propre direction bourgeoise. C’est alors qu’apparaissent pour la première fois un ensemble de shoras nationalistes, sociale-démocrates, populistes, partisans du grand front populaire contre Saddam Hussein.

Au même moment, les nationalistes, désireux de briser la force exprimée par la Centrale des shoras, lui proposent une négociation qui va l’entraîner dans la tragédie de tout fonctionnement assembléisto-démocratique et la placer dans l’incapacité d’adopter une direction révolutionnaire unique. La Centrale est divisée : d’un côté, il y a ceux qui considèrent les nationalistes comme des ennemis et s’opposent à toute négociation ; de l’autre, ceux qui acceptent la négociation et qui concentrent un ensemble de confusions et d’inconséquences sur la question du nationalisme, embrassant l’idéologie d’un grand front populaire antibaasiste.

Il est clair que le problème n’est pas de négocier ou non. Mais, accepter dans de telles circonstances de négocier avec les nationalistes contre les baasistes, contient comme présupposé implicite et indéniable, l’idéologie du moindre mal et, en dernière instance, du frontisme. Dans les faits, « le réalisme » triomphera, entraînant le gros du mouvement à renoncer à ses propres intérêts. A partir du moment où la négociation est acceptée, deux éléments décisifs pour la liquidation de l’autonomie et des intérêts du prolétariat vont s’imposer : primo, le fait de considérer Saddam comme ennemi principal et Kirkuk comme objectif essentiel, et, secundo, la nécessité de faire régner l’ordre contre le chaos.

Comme le prolétariat n’a pas su imposer sa loi, la résistance prolétarienne et même les expropriations nécessaires à la survie en viennent à être considérées comme un chaos, tandis que les nationalistes se présentent (et sont perçus) comme unique garantie du maintien de l’ordre. Dans l’immédiat, les peshmerghas commencent à faire respecter l’ordre capitaliste et la propriété bourgeoise : ils arrêtent les prolétaires qui « dérobent » un sac de riz pour manger, et, discrètement, désarment les prolétaires isolés (pour le moment, les pehsmerghas n’ont ni la force ni le courage de toucher aux groupes internationalistes).

Nous devons ici faire une parenthèse importante au sujet de la guerre pour la prise de Kirkuk. Dès le début de l’insurrection à Soulaymania, les nationalistes pénètrent en force dans la Centrale des shoras à laquelle, non seulement ils se soumettent, mais dont ils prennent formellement la direction, utilisant évidement les prolétaires qui se placent sous leurs ordres comme chair à canon. S’appuyant sur le fait que, pour les prolétaires, l’extension de la révolte et la solidarité avec les shoras récemment formés à Kirkuk est un objectif logique, les nationalistes poursuivent un but totalement différent : il s’agit d’une part d’assujettir le prolétariat à une guerre structurée attaquant les positions baasistes d’une ville où ils apparaissent comme la force militaire la mieux préparée, et, d’autre part, de prendre une place stratégique dans la guerre impérialiste, d’occuper ce centre pétrolier de première importance, ce qui augmentera leur pouvoir de négociation internationale et nationale. Cela constitue pour nous un moment clé dans la transformation de la guerre de classe en guerre impérialiste. Dès la prise de Kirkuk, les nationalistes négocient ouvertement avec les baasistes sous l’œil bienveillant des forces de la coalition. Ils sont pour la première fois reconnus comme force crédible, non seulement parce qu’ils contrôlent territorialement un centre capitaliste aussi important que Kirkuk, mais aussi parce qu’ils apparaissent pour la première fois comme une force capable de disputer au prolétariat le contrôle de la situation dans les villes insurgées, et donc comme une fraction efficace de l’ordre bourgeois international pour contrôler le prolétariat, préoccupation centrale de la Coalition à la fin de la guerre.

Bien sûr, certains shoras, comme celui de « Perspective Communiste » et d’autres dans lesquelles la présence de militants internationalistes est importante, tentent de participer à l’action de façon autonome. Mais les nationalistes prennent rapidement le dessus. S’étant tout approprié, ce sont eux qui détiennent l’argent, les locaux pour se réunir, les indispensables armes lourdes, les médicaments et autres équipements pour soigner les blessés, et donc la force matérielle d’imposer leurs directives. De nombreux camarades internationalistes reprochent à « Perspective Communiste » et à d’autres groupes de n’avoir pas totalement rompu avec les shoras à ce moment-là et d’avoir continué à participer au comité. Il s’agit en effet d’un moment clé dans lequel se vérifient les faiblesses programmatiques des groupes d’avant-garde dans la région. Comme certains d’entre eux le reconnaîtront par la suite, cela ne suffisait pas de définir le nationalisme kurde et le mouvement chiite comme des mouvements sociaux bourgeois, encore fallait-il évaluer correctement la possibilité que ces forces s’imposent. Il était indispensable de les affronter dans l’action pratique quotidienne tout autant que les baasistes.

Situation actuelle et perspectives : les nouvelles guerres inter-bourgeoises dans la région et les tâches du prolétariat internationaliste

Toutes les informations qui sont parvenues d’Irak en 1995/1996 indiquent que la situation matérielle, sociale et politique du prolétariat a continué à empirer. Misère croissante, isolement, répression, mobilisation militaire permanente, lutte armée entre fractions bourgeoises, recrutement forcé, etc. La survie est une aventure et chacun est soumis à un danger permanent. Chaque jour des prolétaires sont tués par des balles perdues ou dans les affrontements entre fractions bourgeoises. Pour survivre, on vend les meubles, la vaisselle, tout ce qu’on a. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’acheteur. De plus, il n’est pas rare que les peshmerghas responsables du maintien de l’ordre, désireux de posséder l’un des objets mis en vente, fassent jeter le vendeur en prison afin de s’emparer très légalement de l’objet convoité.

Au Kurdistan, la situation est infernale : manque de nourriture, pénurie d’eau, détérioration violente du niveau d’hygiène,… la peur des pillages a déchaîné la guerre ouverte entre fractions bourgeoises, entre nationalistes, et entre certaines de ces fractions (l’UPK) et les islamistes.

Les contradictions entre le Parti Démocrate du Kurdistan Irakien (PDKI) et l’Union Patriotique Kurde (UPK) sont à ce point explosives que le Kurdistan est actuellement divisé en deux régions sur pied de guerre. Pour la première fois dans l’histoire, ces deux régions sont devenues l’arène de rivalités politiques. Le développement du régionalisme, ici comme partout, constitue une force de déstructuration de la lutte du prolétariat. Ainsi aujourd’hui, il y a d’un côté Soran, avec pour « capitale » Soulaymania, contrôlée par l’UPK (Talabani), et de l’autre Badinan (région d’origine de la famille de Barzani), où se trouvent Zakho et Duhok, sous contrôle du PDKI. Arbil est la seule ville qui se trouve sous le contrôle simultané et contradictoire des deux forces bourgeoises et elle constitue en même temps une frontière entre les deux régions en conflit.

La lutte inter-bourgeoise prend des formes très violentes, les deux fractions du capital tentant de mobiliser le prolétariat à son service et de canaliser en son sens toutes les contradictions de classe qui normalement se développent contre la propriété privée et l’Etat. Un exemple : après la guerre, beaucoup d’habitants de Soulaymania et d’autres villes de la région sont partis à la campagne où ils se sont installés pour bâtir une ferme et cultiver la terre. Ces terres appartenaient à de grandes familles bourgeoises (dans ce cas, au PDKI de Barzani) qui, maintenant, veulent les récupérer et en expulser les occupants. Mais certains ont décidé de refuser l’expulsion et pour se faire se sont organisés et se sont défendus les armes à la main : les affrontements provoquèrent de nombreux morts des deux côtés. L’UPK, profitant de l’occasion, s’est présenté comme le porte-parole de la lutte contre les expulsions intentées par le PDKI, et sur cette base, il encadre (et/ou prétend encadrer) cette lutte élémentaire pour la survie tout en essayant de l’entraîner sur le terrain de la guerre inter-fractions. Mais même ainsi, l’affrontement génère des contradictions des deux côtés. Par exemple, lors du conflit armé, Talabani, qui se trouvait en Hollande, n’osa pas rentrer au Kurdistan de peur de se faire descendre, y compris par ses propres troupes.

La route vers Soran a été bloquée par le PDKI pendant 2 mois sous prétexte de guerre, avec pour conséquence directe que les vivres n’entraient plus dans la région, que les commerces se vidèrent et que les gens moururent de faim. Les déplacements entre les deux zones sont difficiles et dangereux parce que, bien que la frontière ait été officiellement réouverte depuis peu, la situation reste si explosive que les gens de Soran ne s’aventurent plus dans la région de Badinan, et vice-versa. Il y a eu des dizaines de cessez-le-feu et de traités de paix, mais les affrontements ne cessent pas. Officiellement, le nombre de tués dans les derniers combats est estimé à 2.500, les différents quartiers généraux du PDKI dans la région de Soran ont été attaqués et pillés par l’UPK, la même chose s’est produit dans l’autre région en sens inverse…

La vie quotidienne s’est transformée en cauchemar : tandis que se multiplient les échauffourées entre le PDKI et l’UPK, les prix triplent tous les trois mois… Cet enfer pousse de nombreuses personnes à s’enrôler chez les peshmerghas car cela leur assure de la nourriture et de l’argent trois ou quatre fois par mois ainsi que l’autorisation de garder des armes en leur possession, armes qui, si elles ne sont pas utilisées contre leurs propres officiers, servent à ces peshmerghas à défendre leur vie.

Voilà un moment, en effet, que ni le PDKI, ni l’UPK ne contrôlent plus leurs troupes. Elles se sont autonomisées et imposent la loi de la jungle pour pouvoir survivre : elles ont inventé de nouveaux impôts et se livrent à toutes sortes d’extorsion au nom de leur organisation sans l’en avertir. Ainsi, à Arbil, les peshmerghas pillent les commerces en plein jour, ce qui n’est nullement la politique officielle du PDKI ou de l’UPK. C’est une pratique courante et les gens sont obligés de défendre leur maison les armes à la main.

Pourtant, alors qu’on annonçait la tenue d’élections pour le mois de mars 1995, les deux fractions bourgeoises les plus importantes du Kurdistan tentèrent de réorganiser leurs troupes pour faire face à l’ennemi en même temps qu’elles essayaient d’améliorer leurs relations avec la bourgeoisie occidentale et se disputaient le soutien du Département d’Etat américain et des divers services de l’appareil militaire occidental. En fonction de leurs capacités respectives de contrôler les prolétaires et en regard de l’état de leurs relations avec les forces de l’ordre impérialiste mondial, ces deux fractions oscillaient entre une politique agressive et une politique pacifique. Ainsi, alors que Barzani se déclarait en faveur de la paix, pour réunir les familles, par respect pour les commerçants, pour arriver à un compromis qui permette la tenue de ces élections, apparaissant ainsi comme le tenant de la conciliation nationale kurde, Talabani, qui contrôlait encore moins ses troupes, mais percevait sans doute plus clairement l’incapacité de la bourgeoisie à offrir une alternative valable à la lutte prolétarienne (bourgeoisie qui ne voit de possibilité de paix sociale que dans la repolarisation bourgeoise et la guerre), Talabani se présentait beaucoup plus comme partisan de la solution militaire tant contre Barzani que contre les baasistes. Il parlait ouvertement d’une offensive militaire et de l’occupation de Kirkuk. Mais, comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, il est absurde de parler de fraction bourgeoise plus agressive, plus militariste ou plus impérialiste que l’autre. C’est le Capital qui est militariste et agressif et, généralement, la fraction la plus forte sur le plan militaire, celle qui obtient de bons résultats sur ce terrain fait apparaître l’autre comme la plus militariste (comme cela s’est passé lors de la « Seconde » guerre mondiale). Et c’est sans grande surprise que l’on constatera que la fraction qui donne le saut de qualité dans les hostilités se trouve dans un relatif isolement sur le plan international (indépendamment des rumeurs circulant sur le fait que untel ou untel « est soutenu par la CIA », il est difficile de connaître les alliances et les engagements car ils se nouent dans le plus grand secret) et stratégiquement bien faible pour contrôler les siens et imposer ses intérêts.

Guerres locales, blocus, faim,… et terrorisme d’Etat sont les grandes perspectives que continue d’offrir le capitalisme dans la région. Toutes les fractions bourgeoises, qu’elles soient islamistes, nationalistes, baasistes ou autres… implorent la population de respecter les camions chargés de vivres venant de Turquie qui traversent quotidiennement le Kurdistan en direction de Bagdad, et il n’y a rien que de très logique dans le fait qu’elles s’associent pour priver le prolétariat de toute propriété, y compris de ce qui est nécessaire à sa survie. Mais, heureusement, il y a toujours des prolétaires qui font fi de ces consignes et qui s’affrontent à la sacro-sainte propriété privée. A ce propos, voici une histoire réelle et exemplaire qui remonte à 1993. Non loin de Soulaymania, sur la route qui passe à proximité d’un quartier retiré, plusieurs camions transportant des vivres avaient été attaqués et pillés. Pour tenter de faire cesser ces assauts, les autorités envoyèrent dans le quartier plusieurs délégations chargées de renouer le dialogue et d’enrayer les pillages. Chaque tentative échoua, l’une après l’autre. Plus tard, les secteurs organisés qui réalisaient ces expropriations firent un pas en plus en déclarant que pour leur subsistance, à partir de ce jour, ils s’empareraient systématiquement d’un camion sur trois. Alors, les nationalistes de Soulaymania envoyèrent l’un de leur plus populaire leader, un de ceux qui s’était distingué par son courage dans la lutte contre les baasistes, et ils lui confièrent pour mission de trouver une solution avec les gens dudit quartier. Lorsqu’il s’y présenta, entouré de ses gardes du corps, il fut reçu à coups de fusil. Un de ses gardes y laissa la vie, deux autres furent blessés et le quartier continua à piller un camion sur trois pour assurer sa subsistance.

Aujourd’hui encore les attaques de camions, les prises de dépôts de vivres, les expropriations de commerces et autres pillages mais aussi les explosions sociales, les attaques de locaux officiels, l’expropriation d’organismes humanitaires, les grèves et les manifestations violentes,… restent monnaie courante. Il y a un peu partout des petites bandes armées qui attaquent les propriétés des bourgeois dans la région.

En ce qui concerne les groupes de militants qui se définissent par l’internationalisme, cela fait déjà un moment que s’est ouverte une période de ruptures, de bilans, de décantation, de convergences nouvelles, etc. qui se traduit par un changement permanent impossible à résumer. Les fusions qui donnèrent naissance au Parti Communiste Ouvrier, par exemple, se firent sur base de rejets programmatiques importants de la part de structures ou de fractions d’organisations qui jusque-là convergeaient et ne furent pas capables d’offrir une alternative révolutionnaire à la guerre impérialiste qui se développait entre les fractions nationalistes kurdes : leurs locaux se vidèrent, les militants de ces groupes se dispersèrent.

Ceci, ajouté à la difficulté toujours plus grande d’assumer une action publique, à l’insécurité permanente des déplacements, à la rupture des communications, à la nécessité d’un bilan et d’une autocritique sur de nombreuses erreurs,… a fait que les noyaux révolutionnaires les plus intéressants et ayant le plus de perspectives internationalistes dédient, dans cette phase, le meilleur de leurs forces à la formation, à la réalisation d’un bilan de la lutte et à la discussion théorique ainsi qu’à la difficile tâche de maintenir des contacts internationaux. Il est évident que ce processus recèle aussi de la dispersion, de l’isolement, du découragement et de la désorganisation. Beaucoup de camarades cherchent à sortir de la région (ce qui est très difficile car ceux qui échappent aux forces répressives des nationalistes au Kurdistan ne peuvent « disparaître » dans les pays limitrophes : en Turquie, Irak,… il suffit d’être « kurde » pour être considéré suspect et subversif par les services de police), mais cela n’a pas empêché qu’une poignée de camarades restent en contact et assurent les tâches de toujours en publiant des manifestes et des tracts révolutionnaires contre la guerre (spécialement le groupe « Lutte Prolétarienne », ex-« Groupe d’Action Communiste », ainsi que nos camarades du GCI sur place). Ils ont même réussi à faire connaître les thèses et les positions de notre groupe dans la région, tant en kurde qu’en arabe, et ce malgré toutes les falsifications et les provocations dont nous fûmes l’objet[4].

Pour terminer, il est indispensable d’insister sur la situation critique des camarades internationalistes de la région. Situation critique du fait de la misère, de la difficulté d’agir, de communiquer, de résister au désarmement, mais aussi du fait de la difficulté d’exprimer, à contre-courant des polarisations basées sur les nouvelles guerres inter-bourgeoises, une issue révolutionnaire et internationaliste.

Et ce sont ces camarades eux-mêmes qui nous somment d’agir. Il faut mener l’action internationaliste contre notre propre bourgeoisie où que nous nous trouvions. Il faut donner le meilleur de nos forces pour diffuser cet exemple extraordinaire du prolétariat au Kurdistan, désintégrant une armée, tuant les militaires, les assassins et les tortionnaires. Car si l’on s’est tant acharné à cacher ce qui se passait en Irak en mars 1991, c’est parce que la bourgeoisie du monde entier tremble d’horreur à l’idée que cela puisse se produire ailleurs.

Notre tâche est d’œuvrer à ce que la révolution se développe partout, pour empêcher que, comme par le passé, la bourgeoisie isole la lutte à un seul pays, pour que tant quantitativement que qualitativement nous allions plus loin encore, pour que le prolétariat de tous les pays lutte contre sa propre bourgeoisie et détruise ses bastions, fasse sauter les commissariats, ouvre les prisons, détruise l’armée et la police, exécute les tortionnaires, et surtout, prenne en main la révolution communiste, en s’appropriant tout le pouvoir de la société, tous les moyens de production pour détruire le salariat, la marchandise, les classes sociales, l’Etat,… enfin, pour réduire à néant ce monde carcéral de pénurie, de misère, de guerre,… et se constituer en véritable COMMUNAUTÉ HUMAINE MONDIALE.


[1] Comme nous l’avons déjà précisé en d’autres occasion, « peshmerghas » signifie combattant, guérillero. Ici il s’agit clairement de deux prolétaires, encadrés par les forces nationalistes qui, comme une grande majorité de peshmerghas, profitaient de la désorganisation des forces baasistes pour descendre des montagnes proches où ils séjournaient en visite dans leur famille.

[2] Nous profitons de cette occasion pour cracher encore une fois à la gueule de tous les antiterroristes et « antisubstitutionnistes » opposés à l’armement préalable et à la préparation indispensablement clandestine de l’insurrection. Ce sont eux les coupables de ce type de massacre dans nos rangs. Moins l’insurrection aura de puissance de feu, moins sa direction sera centralisée et plus il y aura de morts, de blessés et d’invalides dans ses rangs.

[3] Seul le bâtiment rouge, vu sans doute les souvenirs qu’il charrie, ne sera pas occupé et, au cours des mois qui suivent, il se transformera en logement pour des familles n’ayant pas d’autre toit.

[4] Des tracts ont été diffusés, des positions ont été prises à la radio et à la télévision au nom du Groupe Communiste Internationaliste, prétendant que nous soutenions telle force pour les élections ou telle position d’auto-détermination nationale. Toutes ces positions sont à ce point en antagonisme total avec nos thèses programmatiques qu’il ne fait aucun doute que ces accusations recèlent une volonté de semer le doute et la confusion. Par ailleurs, les informations que possèdent nos camarades indiquent que dans certains cas des personnages importants du nationalisme, ennemis directs (programmatiques et personnels) des militants internationalistes intervinrent directement sur la diffusion de ces falsifications.

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