Venezuela : Capitalisme et Lutte de Classes

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Source en espagnol :
https://materialesxlaemancipacion.espivblogs.net/2017/04/22/venezuela-capitalismo-y-lucha-de-clases/

vnzueliLes trois prises de position qui suivent ont été publiées entre 2013 et 2015 par divers camarades de lutte. Bien que deux années se soient écoulées depuis, nous sommes convaincus de ce que leur contenu ne manque pas d’actualité, et tout au contraire, le bilan qui y est fait correspond assez à ce qui se passe dernièrement dans la région des Caraïbes.

Comme chacun le sait, les matériaux que nous publions sur ce blog ont toujours eu pour objectif de s’écarter de la roue idéologique qui est présente tout autant dans les médias de gauche que de droite. Si notre réalité locale nous dépasse généralement, par conséquent ce qui se passe en dehors de nos frontières encore plus. Cependant, se limiter à abandonner tout effort pour susciter des critiques, à les divulguer et les discuter, n’a pas de raison d’être. Des contributions comme celles-ci ne doivent pas être comprises comme étant définitives, mais bien comme des efforts qui font partie d’un processus continu, comme de simples (mais nécessaires) contributions pour forger nos propres alternatives de lutte, autonomes et véritablement révolutionnaires à partir de la critique radicale. De toute évidence, donner une réponse précise à toutes les implications concernant le terrain pratique de la lutte, ainsi que les innombrables tâches que comporte son organisation, tout cela ne sera pas résolu en quelques lignes écrites, ni ne s’obtiendra mécaniquement ou à court terme, et encore moins avec volontarisme et immédiatisme. Les échecs et les revers constants doivent se produire dans les rues pour entrevoir les progressions.

vnzuelaatakPendant ce temps, décrivant un peu la question que nous abordons, il nous semble pertinent de souligner et de résumer les éléments suivants : se placer sous la bannière du faux antagonisme « impérialisme yankee contre démocratie socialiste latino-américaine », c’est accepter aveuglément de se précipiter dans le vide, c’est prendre part à un simulacre d’opposition qui va nous conduire inévitablement à ce que les choses restent en l’état (ou qu’elles deviennent pires qu’auparavant). C’est pour cela que lorsque nous brandissons la consigne « Ni chavisme ni opposition », nous ne sommes pas en train d’utiliser un simple slogan perturbant, loin de là, nous sommes en train d’exposer sans détours une réalité qui a été mystifiée et déformée pendant des années par toutes les fractions de la bourgeoisie.

L’autoproclamée révolution bolivarienne n’est pas le moins du monde opposé au capitalisme. Le socialisme du XXI° siècle, c’est du réformisme tout court, encadré dans la continuité des tâches démocratiques bourgeoises, à savoir : la défense de l’économie, de la valeur, de l’État, de la nation, du progrès développementaliste.

De plus, ni Hugo Chavez ni Maduro n’ont été des dictateurs fascistes, tout au contraire, ils sont aussi démocrates que leurs homologues exigeant « la libération des prisonniers politiques au Venezuela » (évidemment en se référant exclusivement aux prisonniers de la MUD). Tous les citoyennistes, conservateurs, démocrates qui cyniquement et hypocritement s’indignent et dénoncent la répression policière menée par le gouvernement bolivarien, simultanément dans « leurs propres pays », agissent aussi comme complices, dénonciateurs, commanditaires et même participants directs à la répression et au massacre des prolétaires précaires, paupérisés et marginalisés qui luttent contre l’exploitation et le pillage effectué par les entreprises pétrolières, gazières et minières.

La lutte révolutionnaire que nous revendiquons pour détruire le Capital doit s’opposer dans la même veine à tous les États nationaux, en les réduisant à moins que des décombres ; indépendamment de l’adjectif qui les caractérise, l’idéologie qu’ils proclament, ou le personnage ou le groupe qui est à la tête ; ceci est une affirmation incontournable de notre programme historique.

[Materiales]

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c0b4cc5f-58a1-400a-817d-db3b5dd577fbLE MYTHE DE LA GAUCHE EST MÛR POUR S’ÉCROULER[1]

La situation économique et sociale au Venezuela, après 14 ans de gouvernement de Chavez et plus d’un an de gouvernement maduriste, ne pouvait pas donner plus que les résultats que nous voyons aujourd’hui. Il est alors nécessaire de faire un examen historique afin de contextualiser la présente explosion sociale.

Cette succession de gouvernements « socialistes » et la crise actuelle ne peut être comprise et dénoncée qu’en tenant compte du fait que le socialisme dont on parle est, sans aucun doute, un « socialisme » bourgeois. C’est la social-démocratie qui instaure ses gouvernements « ouvriers », revendiquant la souveraineté nationale, la défense de l’économie nationale, prétendant gouverner pour la classe qu’ils écrasent. Ainsi, la révolution bolivarienne se conçoit avec des nationalisations, une importante rente provenant du pétrole, une énorme bureaucratie, beaucoup de nationalisme et de populisme, et des coups et des miettes pour la majorité du prolétariat ; le Venezuela devenant le bastion du socialisme à la mode du XXI° siècle.

Mais le fait que les moyens de production soient nationalisés ou non ne change rien. Pour nous prolétaires, cela ne fait aucune différence que celui qui nous exploite soit un propriétaire particulier, le gouvernement national ou une multinationale. Le Capital n’a pas une méthode unique pour se reproduire, il utilise celle qui lui est utile aux fins d’une meilleure reproduction, à sa propre valorisation. À cet égard, s’il utilise l’interventionnisme étatique et la logique pseudo-« socialiste », il ne le fait que dans les occasions où cela finit par lui être rentable, tout en conciliant les intérêts antagoniques des classes et en lui permettant de continuer à se développer, à s’agrandir et à utiliser la population avec l’excuse de la croissance de l’économie nationale. En tant que grande illusion, le « socialisme » bourgeois prétend qu’existe le socialisme dans un seul pays, ce qui en tant qu’intérêt nationaliste (régional, partiel) ne peut pas être plus que les intérêts de la bourgeoisie qui vise à l’atomisation du prolétariat. Quelle que soit la forme qu’il prenne, tout État est impérialiste. Tout différend ou toute alliance entre les États n’est simplement que la conséquence du développement des économies nationales, à savoir des intérêts bourgeois individuels et jamais des intérêts du prolétariat.

Les crises au Venezuela ont toujours été associées, tant par Chavez que Maduro, aux tentatives de coups d’État ou de complots yankees, et codifiées comme étant la lutte contre la droite ou l’« impérialisme ». En cohérence absolue, le discours de Nicolás Maduro réitère qu’il confronte un « Coup d’État » qui serait semblable à ce qui s’est passé en avril 2002 avec Hugo Chávez. La fausse dichotomie entre pays socialiste et puissance impérialiste que nous dénoncions plus haut se met à nu à son tour dans les accords commerciaux entre ces pays. La recherche de profit, ainsi que dans d’autres contextes, la nécessité de réprimer le prolétariat dans des moments de grands bouleversements sociaux, oblige à chercher de nouvelles subtilités discursives pour justifier alliances et mesures. Ceci est démontré par les mesures prises par Chavez par rapport à la production de pétrole sur son territoire.

Après la grève du secteur pétrolier en 2002, le gouvernement dirigé par Chavez a proposé de récupérer les compagnies pétrolières du pays. À partir de 2005, une série d’actions ont été entreprises pour récupérer la ceinture pétrolifère de l’Orénoque, considérée comme le plus grand gisement de pétrole sur la planète. Déjà en 2007, la Loi 5.200 instituant la nationalisation de la ceinture est décrétée. De nombreuses entreprises mixtes pétrolières sont formées, dans lesquelles le gouvernement vénézuélien a obtenu une participation majoritaire grâce à sa compagnie étatique de pétrole et de gaz naturel « Petróleos de Venezuela SA » (PDVSA), reprenant de cette façon le contrôle – ainsi qu’une grande partie des redevances – des entreprises qui appartenaient à des capitaux internationaux.

En dépit de la propagande médiatique outrancière et farfelue contre l’impérialisme américain, un grand allié dans la formation de ces entreprises mixtes a été la multinationale Chevron, connue pour la catastrophe écologique provoquée en Equateur. Les défenseurs du « Socialisme du XXI° siècle », comme tous les partisans du capitalisme, ont toujours une justification pour ces négociations, quand ce n’est pas « stratégique », c’est simplement « nécessaire ». Au Venezuela, le pétrole est la principale source de revenus. Les destinations de ses barils de brut sont principalement les États-Unis et dans une moindre mesure l’Europe et certains pays d’Amérique latine.

Les accords économiques des compagnies pétrolières sont déguisés avec des discours visant à la « souveraineté pétrolière » et à la promotion des Missions Sociales. Ils apparaissent comme une initiative du gouvernement national bolivarien et constituent un ensemble de mesures pour faire face aux secteurs populaires du pays. Leur apparition a lieu dans un climat de conflit social et économique, dont les moments les plus cruciaux ont été la tentative de coup d’État en avril 2002, la grève du secteur pétrolier de décembre de la même année et le Référendum Révocatoire d’août 2004. À ce jour, les entreprises mixtes sont reconnues et glorifiées par un « renforcement de la sécurité sociale du pays » quand on augmente le budget alloué aux Missions.

Si le Venezuela est parvenu pendant si longtemps à limiter la détérioration, c’est parce que sa force de choc pétrolière lui confère un avantage commercial et monétaire important. Mais ce n’est pas suffisant pour garantir la stabilité de la monnaie et la fuite des capitaux ; de plus, la redistribution de la rente pétrolière a produit un risque inflationniste, confirmé aujourd’hui. Au cours des quatre dernières semaines, le gouvernement de Maduro a annoncé presque tous les jours, de nouvelles mesures, avec la promesse de remédier à l’inflation et aux pénuries. Mais au-delà des débats houleux entre le gouvernement et l’opposition, le mécontentement se vit dans la rue.

Lorsque la carotte est pourrie…

Maintenant que tout a explosé, que l’inflation au Venezuela est la plus élevée d’Amérique latine, que cette grande masse d’hommes et de femmes précipités dans la misère et soumis aux pénuries et à la faim sont descendus dans les rues, on ne peut plus améliorer la situation avec des mesures populaires. Maduro a récemment opté pour des décisions similaires afin de faire face à ce qu’il appelle la « guerre économique » ou le « sabotage économique de fractions apatrides ». Ces mesures, allant de la Loi Habilitante des coûts et des prix équitables, en passant par un nouveau système de subventions pour l’achat de produits de première nécessité, jusqu’à la mise en œuvre d’un nouveau système de taux de change et la restructuration de la gestion des réserves en devises étrangères dans le pays, visent à l’interventionnisme et à la nationalisation pour renforcer l’économie nationale. Les aberrantes campagnes de la propagande officielle ne seront pas plus utiles, ni les mobilisations pro-Maduro ou les périodes de Noël et de carnaval anticipées. Il est temps maintenant de regarder de plus près ce qui se passe avec le prolétariat frappé de plein fouet qui habite la région du Venezuela.

Le 4 février, ont éclaté des manifestations étudiantes qui trouvent leur origine dans l’agression sexuelle d’une étudiante à l’Université Nationale Expérimentale de Táchira. Quelques jours plus tard, le 12 février, une manifestation d’étudiants à Caracas a déclenché une série d’émeutes dans le pays. Ce qui a commencé comme une protestation étudiante contre la situation d’insécurité s’est achevé par la répression étatique et un bilan de 14 étudiants arrêtés. Les manifestations qui ont suivi pour la libération de ces étudiants ont déchaîné la tension qui venait à s’accumuler dans le contexte de la crise économique, de la pénurie de biens de première nécessité et des services de base, ainsi que le début de la mise en œuvre d’un ensemble de mesures économiques du gouvernement. Les manifestations se propagèrent à d’autres villes, en particulier Mérida, Táchira et Trujillo, et elles furent également réprimées par la Garde Nationale Bolivarienne (GNB) et le Service Bolivarien du Renseignement (SEBIN), en plus des célèbres groupes paramilitaires indirectement financés et directement initiés par cet État.

Dans ce contexte, une partie de l’opposition, comme les partis dirigés par María Corina Machado et Leopoldo López, a voulu tirer profit de la situation et a appelé à la mobilisation, exigeant entre autre la démission de Maduro, dans une tentative de canaliser les protestations, de les légaliser, de les politiser. À leur tour, les autres partis d’opposition qui forment la Mesa de la Unidad Democrática [Table de l’Unité Démocratique, note du traducteur], une sorte d’amalgame social-démocrate, progressiste chrétien, réformiste, libéral (et nous pourrions continuer…) qui constitue la principale opposition au Venezuela, se sont opposés ouvertement aux manifestations et ont appelé à abandonner les mobilisations pendant trois jours. Cela a été ignoré par les gens qui continuèrent à descendre dans les rues, dépassant ainsi le parti pris des uns et la passivité des autres, en généralisant la protestation pour une grande partie du Venezuela.

Les manifestations se sont étendues à de nombreuses régions du pays et ont été appelées principalement grâce aux « réseaux sociaux ». À son tour, dans chaque zone les opinions et les motifs qui ont incité les manifestations varient. Dans le cas de Caracas, elles ont été spécialement le fait de secteurs de la classe moyenne et d’universitaires, et les demandes traitèrent de questions politiques, telles que la démission de Maduro et la modification du modèle économique et social. À l’intérieur du pays, des secteurs populaires ont rejoint la protestation, y incorporant des revendications sociales telles que la critique de l’inflation, des pénuries et du manque de services de base.

Après quelques jours de calme relatif, le samedi 22 mars, les manifestations et les affrontements entre partisans du gouvernement et forces de l’opposition ont repris. Cette journée de marches et de contremarches a donné lieu à nouveau à des émeutes dont le bilan s’élève à de nombreux détenus et trois morts.

Les raisons de la protestation vont des exigences en matière de santé, le logement, et l’approvisionnement de produits de première nécessité, jusqu’à des revendications quant à l’insécurité. Cependant, ces journées de protestation, quelles que soient leurs raisons verbalisées, leurs mots d’ordre dans de nombreux cas limités, ont été une critique pratique et ont mis en avant la destruction des symboles et des institutions de l’État et du Capital. Il y a eu des assauts contre les sièges de partis politiques, tant de l’opposition que du gouvernement ; des attaques contre les bureaux des institutions de l’État et des patrouilles du Corps des Enquêtes Scientifiques, Judiciaires et Criminelles (le principal organe étatique d’enquêtes judiciaires). De plus, il y a eu l’attaque de l’Hôtel Venetur (une propriété de l’État) et le siège prolongé de la chaîne de télévision publique Compañia Anónima Venezolana de Televisión (VTV). À Táchira, il y a eu des attaques contre le siège de la Fondation de la Famille, dans la municipalité de Chacao contre la Banque Provinciale et la Banque du Venezuela, et à Barquisimeto, au siège de la Société Anonyme Nationale des Téléphones du Venezuela (CANTV).

Aucune de ces attaques n’est une garantie face à l’éventuelle codification des manifestations en une demande de réformes partielles, mais les mobilisations, les « guarimbas » (les barricades urbaines) et les attaques menées par le prolétariat de la région vénézuélienne dénoncent avec des bâtons et de la fureur, encore une fois, l’inhumanité du Capital, son aspect démocratique et ses partis, ses médias, son bras répressif et ses forces de frappe. Ceci et d’autres révoltes dont nous sommes témoins, qui se passent dans des endroits différents et apparemment pour des raisons différentes, bien qu’elles soient souvent éphémères, posent l’identification des intérêts et de la lutte contre l’exploitation, comme la réponse la plus humaine contre la civilisation, comme critique pratique contre l’ordre et ses représentants, comme le montre la tentative d’imposer les besoins humains contre ceux du marché et des rapports sociaux capitalistes.

Et comme toujours, quand la carotte se met à pourrir… il n’y a plus qu’à distribuer des coups de bâtons. La branche armée de l’État défend avec la prison et la torture son incontestable propriété privée. La répression par la GNB, le SEBIN et des groupes paramilitaires réussit à disperser quelques protestations alors qu’elle en déclenche d’autres. La répression sans ménagement, la détention et la torture, la militarisation de la ville de Táchira, les perquisitions illégales, entre autres, ont été la réponse préférée de l’État vénézuélien à cette série d’attaques et d’émeutes, avec un bilan jusqu’à présent de 36 morts, environ 400 blessés et 1 600 arrestations.

Maintenant que le baratin du pouvoir populaire montre son vrai visage, il est temps de mettre l’accent sur la spontanéité de ces émeutes, et qu’au-delà des mots d’ordre qui les verbalisent, ce sont des ruptures de la vie quotidienne, peut-être l’expression partielle et incomplète, d’une classe épuisée de vivre et de mourir écrasée, étrangère à son humanité. Les différentes façons où ces conditions sont réunies dans différents États ne sont que les différents visages de notre condition de prolétaires. Comprendre cela, c’est comprendre que nous faisons partie du même être, dans la mesure où nous partageons les mêmes conditions misérables d’existence et nous portons la capacité de mettre fin à cette situation.

« Si le socialisme du XXI° siècle ne veut que consolider la démocratie, le marché et le nationalisme, nous devrions nous demander pourquoi penser qu’il s’agit d’une révolution ? Si on est juste en train d’affirmer ces valeurs nauséabondes dans lesquels nous évoluons tous les jours. Tant Correa et sa révolution citoyenne que Chavez et la révolution bolivarienne ne font que nous montrer que le capitalisme change son image bienveillante et populaire, mais qu’il n’abandonne pas son essence de mort. »

La Oveja Negra N° 15
[Le Mouton Noir]

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Venezuela-78586-GaleriaUnoVenezuela : Crise, manifestations, lutte politique inter-bourgeoise et menace de guerre impérialiste

– Le Venezuela est en crise parce que le capitalisme est en crise ; ou plutôt, la crise capitaliste mondiale s’exprime sous une forme dépouillée, brute et scandaleusement visible au Venezuela, non seulement au niveau économique, mais aussi politique, social, idéologique et probablement géopolitique et militaire maintenant et à l’avenir.

– La situation actuelle au Venezuela est une démonstration de l’échec des gouvernements du « socialisme du XXI° siècle » de gérer efficacement la crise capitaliste. Ce qui se passe, c’est que le Capital et sa crise sont ingouvernables : c’est le Capital qui gouverne la société et donc l’État, et non l’inverse. Croire le contraire est naïf, en revanche faire semblant de le faire, c’est du réformisme.

– Le gouvernement du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV), comme un bon capitaliste qu’il est, ne peut que « décharger » ou « faire payer les pots cassés » aux prolétaires : pénuries, inflation, sous-emploi, chômage, paupérisation. C’est-à-dire austérité et misère. Ce qui donne comme conséquence logique de nouvelles manifestations de rue contre de telles conditions matérielles d’existence, comme celles de février-avril de cette année (et comme celles de février de l’année dernière, évidemment). Ensuite, ce gouvernement, en fonction de son rôle, ne peut qu’opter pour la répression : les lois répressives « d’exception » adoptées par le Congrès (tel la résolution 008610, ce qui permet à la police de réprimer les manifestations à balles réelles), la mort conséquente de quelques jeunes manifestants par la police, etc. Bien qu’il se justifie en disant qu’il a agi contre « la droite déstabilisatrice et putschiste, qui complote avec l’impérialisme américain » et même qu’il « regrette la mort de ces étudiants », il est évident que le gouvernement de Maduro – comme tous les gouvernements de gauche – n’est pas le moins du monde révolutionnaire. (Encore une fois, il est à noter que Rousseff et Correa font essentiellement la même chose dans leurs pays respectifs.)

– Bien que lors des manifestations de l’année dernière notre classe ait revendiqué ses besoins matériels par l’action directe contre le Capital et l’État (pillages, barricades, jets de pierres, attaques de sièges de partis, etc.) ; bien que cette année, elle soit une nouvelle fois descendue dans les rues pour protester contre la pénurie et « contre le régime » ; et bien que la misère et la répression subie aujourd’hui puisse la pousser à se débarrasser de tant d’années de « chavisme » et de « missions sociales », le problème est que le prolétariat au Venezuela – comme dans beaucoup d’autres régions – est encore faible ; c’est-à-dire qu’il ne parvient pas encore à se réorganiser et agir avec autonomie et puissance, avec ses propres revendications et organisations, en tant que force sociale réelle, comme classe de négation. Mais il ne faudrait pas pour autant exclure la possibilité d’une explosion de colère prolétarienne incontrôlable tant pour le gouvernement que pour l’opposition, l’émergence d’un prolétariat sauvage au Venezuela précisément en raison des conditions difficiles dans lesquelles survit actuellement notre classe. En fin de compte, nos besoins humains en tant que prolétaires, insatisfaits ou niés par la propriété privée et l’argent, se trouvent partout en opposition matérielle et totale avec les besoins de l’accumulation et la gestion du Capital ; de sorte que l’antagonisme structurel et latent entre la classe capitaliste et le prolétariat peut exploser tôt ou tard ; en particulier dans les situations de crise, puisque celle-ci peut à son tour réchauffer ce « terrain fertile » de la lutte prolétarienne contre le Capital et son État.

– Depuis les étudiants ayant de faibles revenus, en passant par les chômeurs et les sous-employés « informels » dans les rues, qui au Venezuela (et en Amérique latine en général) prolifèrent dans la misère, et qui de plus sont ceux qui résident dans les banlieues et les campements périphériques. Ainsi que les prolétaires « indigènes » et « paysans » d’autres provinces, qui se sont déjà affrontés à plusieurs reprises aux entreprises pétrolières, minières, charbonnières, ces dernières étant soutenues par les forces de l’ordre du socialisme du XXI° siècle ; sans oublier les différents secteurs de la classe ouvrière qui ont protesté pour des questions revendicatives : les licenciements, les salaires, les services, etc. Ils constituent tous le prolétariat en lutte, et leur présence dans les rues, suscitant ainsi des tentatives de révolte, le prouve. Il est donc tout à fait stupide de considérer les protestations comme s’il s’agissait d’un mélange homogène qui obéit exclusivement aux objectifs de la Table de l’Unité Démocratique. « Opposition fasciste » ou « agents impérialistes » sont quelques-uns des surnoms ridicules que nous voyons tous les jours dans tous les médias de la gauche rance pour désigner ceux qui luttent contre leurs misérables conditions d’existence… Il est nécessaire une fois pour toute de rompre avec toutes ces fausses interprétations réductionnistes qui ne font que défendre à tout prix le réformisme progressiste orné de drapeaux anticolonialistes.

– Nous avons dit qu’une révolte prolétarienne au Venezuela est une possibilité et non quelque chose d’« inévitable », car penser cette dernière serait mécaniciste et conserver de fausses attentes. En outre, parce que ce serait stupide et irresponsable de ne pas remarquer que tant le gouvernement que la droite vénézuéliens peuvent, comme toujours, pêcher en eaux troubles ou encadrer la mobilisation pour démobiliser tout le mouvement. En effet, le gouvernement de Maduro, de fait, profite déjà de la menace des USA contre le Venezuela pour protéger davantage son appareil d’État et pour masquer ou faire passer à l’arrière-plan la crise et la lutte des classes internes, appelant au « patriotisme », à la « souveraineté », à la « solidarité anti-impérialiste » et au passage exhorter au sacrifice pour « l’économie nationale ». Et la droite vénézuélienne (représentée par la dénommée Table de l’Unité Démocratique – MUD), car elle est évidemment soutenue par l’impérialisme nord-américain et parce que, en cas d’invasion, elle remplacerait le pouvoir politique. L’histoire politique régionale et mondiale montre qu’il en est ainsi et qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. Face à cela, nous précisons que la rupture et l’autonomie prolétariennes que nous jugeons nécessaires d’apparaître au Venezuela, seront non seulement en dehors et contre le gouvernement de gauche de Maduro ou la bourgeoisie « bolivarienne », mais aussi en dehors et contre l’opposition de droite vénézuélienne, cette bourgeoisie « oligarchique », rance et ultraréactionnaire. Non seulement en dehors et contre telle ou telle fraction du Capital-État, mais en dehors et contre tout le Capital-État lui-même. Tout cela signifie et implique, dans ce cas concret, de ne pas participer à la lutte politique inter-bourgeoise gouvernement contre opposition, de ne pas jouer leur jeu, mais au contraire : de les déborder, rompre avec eux, assumer la lutte des classes pour défendre, généraliser et imposer nos besoins humains sur ceux du Capital, nos propres revendications de classe au moyen de nos propres structures de lutte. Ce qui, à son tour, pourrait conduire à une révolte, puis d’assumer la nécessité de lutter pour la révolution sociale ou totale ; pas pour une révolution politique, partielle, bourgeoise (où la droite reprend le pouvoir politique ou encore la gauche le conserve), et encore moins pour que cela débouche sur la guerre impérialiste qui transforme le prolétariat en chair à canon (dans le cas où les USA envahiraient le Venezuela). L’existence ou l’émergence de minorités révolutionnaires militantes et actives au Venezuela – dont nous n’avons pas encore de signe réel et convaincant –, devrait être l’une des principales tâches du moment. Ou peut-être que le prolétariat au Venezuela – y compris ses minorités radicales – ne réagira et ne luttera contre ses ennemis mortels de classe que lorsque la guerre sera en train de tuer des milliers de prolétaires dans les rues et aux frontières, non plus seulement de faim, mais aussi avec des balles de la part des deux États ? La vraie lutte de classe aura le dernier mot.

– Tous les gouvernements socialistes, nationalistes et anti-impérialistes qui ont existé ont été, sont et seront capitalistes, la « révolution bolivarienne » laisse intacte l’État national, la propriété privée et le commerce extérieur et intérieur, éléments fondamentaux du système capitaliste ; les gouvernements de gauche et progressistes sont différents dans la forme mais pas dans le contenu de leurs rivaux de droite et impérialistes. Leurs luttes, y compris leurs guerres, sont inhérentes, inévitables et nécessaires pour que ce système fonctionne et survive : le capitalisme ne peut exister ou être tel sans concurrence et sans guerre. (En outre, il n’y a pas eu de guerre de défense de la souveraineté nationale et/ou de libération nationale qui n’ait été partie de fait d’une guerre inter-impérialiste.) Mais ces luttes inter-capitalistes continueront simplement d’occuper un rôle de premier plan jusqu’à ce que le prolétariat réapparaisse sur la scène avec force et autonomie pour contester l’ordre existant. Ensuite, les deux fractions bourgeoises qui sont aujourd’hui des adversaires s’uniront ouvertement et sans apparences en un seul parti – le parti de l’ordre, de la réaction et de la démocratie – contre notre classe, car avant tout ils préfèreront s’allier que voir chanceler le système qui leur assure la puissance et la domination.

– Ce tableau émergent serait encore plus catastrophique si la Chine et la Russie se décidaient à soutenir le Venezuela même militairement, non par « affinité idéologique » ou par « anti-impérialisme », mais parce que ces deux puissances émergentes de l’Est doivent se soucier de leurs puissants intérêts économiques et géostratégiques aussi bien dans ce pays qu’en Amérique du Sud en général. De leur côté, comme ces derniers temps les USA ont perdu du terrain et du pouvoir dans d’autres régions, aujourd’hui ils retournent dans leur « arrière-cour » de toujours pour l’utiliser comme un « joker » de leur politique de suprématie « unipolaire » en déclin. Ainsi, le conflit ne porte pas seulement sur le pétrole et le contrôle territorial, mais aussi sur une partie de l’hégémonie mondiale même. La Libye, l’Irak et/ou l’Ukraine au Venezuela ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, les tambours de la guerre impérialiste résonnent en Amérique du Sud, ou plus exactement ceux de l’invasion militaire américaine du territoire de l’État vénézuélien.

– La « violation des droits de l’homme » par ce gouvernement de gauche (comme si aucun État n’exerçait son terrorisme répressif ! Hypocrites !) n’est rien de plus qu’un prétexte vraisemblable pour brandir un discours de « manque de liberté au Venezuela ». Les USA ont déjà utilisé des excuses semblables à cet effet, il y a quelques années à propos de la Libye et de l’Irak [et actuellement en Syrie] – ainsi qu’à la veille de quelques guerres durant le 20° siècle. Non, ce n’est pas un « manque de démocratie », mais c’est partout la même démocratie qui nous réprime, emprisonne, torture, assassine ; parce que la démocratie, en réalité, c’est la dictature « légale et légitime » du Capital sur le prolétariat. Rappelons-nous aussi qu’avec ce prétexte, les USA ont déjà mené plusieurs guerres dans diverses régions périphériques ou « non-occidentales » de la planète. Alors, vous voulez le faire pour le pétrole ? Bien sûr que si, compte tenu des grandes réserves d’« or noir » que possède le Venezuela, ainsi que les principaux accords pétroliers entre la « bolibourgeoisie » et Chevron, dans le sens de monopoliser le marché international du pétrole dans cette région (comme disait Marx, la concurrence et le monopole ne sont pas des pôles antagoniques mais complémentaires, les deux faces d’une même pièce de monnaie ; et comme les bourgeois et leurs économistes ont l’habitude de dire : « en affaires, il n’y a pas d’amis »). Plus en profondeur encore, étant donné que le pétrole c’est de l’énergie et que l’énergie est l’élément vital de l’économie, à savoir qu’il est une activité lucrative en soi ainsi qu’une soupape d’échappement pour l’actuelle crise capitaliste mondiale. Ce qui, cependant, sera « plus cher » et catastrophique à l’avenir en raison de l’actuelle « crise pétrolière » et de tous les désastres et conflits que cela implique. Cependant, le pétrole n’est pas encore la principale cause de ce drame ou des tensions internationales dans la région.

– La bourgeoisie américaine et le Pentagone ne sont pas stupides, ni ne restent les bras croisés. Tout le contraire. Si ni un gouvernement de gauche ni l’opposition de droite n’ont été en mesure de gérer la crise capitaliste dans une partie importante de leur « arrière-cour », le « risque » existe aussi que dans ce pays le prolétariat (ce « fantôme » que craint tellement toute bourgeoisie) ré-émerge de manière explosive et hors de contrôle, comme une véritable force, autonome et indomptée. Alors, s’agit-il d’une « émeute de la faim » potentielle et contre l’État au Venezuela ? Face à cette menace, les USA ne peuvent pas échouer à remplir leur rôle de gendarme ou de police mondiale : voilà une des nécessités d’intervention armée au Venezuela. Et peut-être ne faut-il pas attendre qu’une telle révolte potentielle ne se produire, mais plutôt anticiper les mouvements visant à « la prévenir ». En conclusion, comme toujours la guerre impérialiste consiste à écraser toute tentative révolutionnaire et à repolariser le pouvoir de la bourgeoisie. La guerre, c’est toujours la guerre contre le prolétariat. Dans ce cas précis, il s’agit de « neutraliser » la contradiction fondamentale et réelle, de fond : l’antagonisme de classe et toute tentative de révolution radicale.

– En outre, ce n’est pas seulement à cause de la menace d’un prolétariat sauvage dans ce pays que les USA mèneraient la guerre impérialiste au Venezuela, mais parce qu’ils ont déjà un problème potentiel « chez eux » : le mouvement des manifestations et des émeutes déclenché dans les villes de Ferguson, Baltimore, Oakland et Charlotte ces quatre dernières années. Autrement dit, les USA feraient également la guerre afin de se renforcer et de gagner la guerre contre le prolétariat qu’ils mènent sur leur propre territoire : par exemple, l’enrôlement dans l’armée de jeunes prolétaires (des noirs, des latinos et des blancs) pour qu’ils aillent tuer et mourir dans d’autres pays, et ainsi éviter qu’ils trainent dans les rues comme des « paresseux » et des « vandales ». Ce qui pourrait paradoxalement se transformer en un boomerang, et il y a déjà quelques indices ou signes de cela. Ceci est un autre fait qui justifie l’importance aujourd’hui de la relation internationale entre le Venezuela et les USA ainsi que la situation intérieure dans les deux pays, dans le sens de manifester la dialectique historique concrète entre la guerre de classe et la guerre impérialiste.

– Par ce fait même, le seul qui puisse arrêter et inverser la guerre impérialiste dirigée par les USA dans pratiquement le monde entier, c’est le prolétariat non seulement des pays en guerre (de manière réelle ou potentielle) mais aussi le prolétariat de tous les pays et de toutes les régions, de toutes les « couleurs » ou « races », agissant comme une seule force mondiale et historique contre un seul ennemi : le Capital-État mondial. La seule façon d’en finir vraiment et radicalement avec la guerre et le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne mondiale. Mais pour cela, il est d’abord nécessaire que notre classe s’assume en tant que telle, en tant que prolétariat, en tant que classe antagonique au Capital ; une classe qui dépasse les séparations (nationales, raciales, sexuelles, idéologiques, etc.) qui lui sont imposées ; qui se réapproprie son programme historique et qui lutte pour l’imposer ; qui se bat pour ses propres revendications avec ses propres formes d’association et méthodes de lutte de classe ; qui assume qu’elle n’a pas de patrie et qui pratique l’internationalisme prolétarien, en luttant contre « ses propres » bourgeoisies et États nationaux, et contre tout nationalisme et régionalisme (qui sont des entraves idéologiques et identitaires si profondément enracinées en Amérique latine) ; qui à la guerre impérialiste, lui oppose le défaitisme révolutionnaire et la transforme en guerre de classe révolutionnaire et mondiale. Il nous faut un sujet révolutionnaire. Mais cela ne se reconstitue qu’à la chaleur de la lutte des classes même et, comme le montre l’histoire, après de nombreuses défaites. Combien de défaites supplémentaires seront nécessaires, frères prolétariens dans le monde entier ?

– Il se peut que nous soyons en avance sur les faits, mais si une telle chose ne finit pas par se concrétiser, ou si les USA n’envahisse pas le Venezuela, nous l’exclamerons pareillement et continuerons de l’exclamer parce qu’aujourd’hui (comme toujours), peu importe où on regarde, nous sommes en guerre. Le Capital et son État ont toujours été, sont et seront en guerre permanente contre notre classe pour nous maintenir exploités et dominés, divisés et faibles, annihilés et détruits en tant que classe. Ensuite, pour défendre et récupérer nos vies, il est temps que les prolétaires assument la guerre de classe et passent à l’offensive contre leurs ennemis. Partout et jusqu’à la fin…

Prolétaires qui vivez au Venezuela et partout ailleurs :

Ni gouvernement, ni opposition, ni invasion !
Aucun sacrifice pour aucune nation !
Contre la guerre inter-capitaliste et impérialiste : lutte de classe autonome, anticapitaliste, antiétatique et internationaliste !
La Révolution Prolétarienne Mondiale ou la Mort !

Proletarios Revolucionarios*
[Prolétaires Révolutionnaires]

* (Nous avons légèrement modifié certains paragraphes du texte afin d’en stimuler la lecture, sans bien sûr en altérer le contenu et les positions exposées, puisque nous sommes complètement d’accord avec celles-ci). [Ndr]

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venezuela78590-GaleriaUnoPOUVOIR POPULAIRE ET SOCIALISME AU XXI SIÈCLE
Les habits modernes de la social-démocratie

Le fameux socialisme du 21ème siècle n’est rien de plus que le front populisme du 20ème siècle. La vieille soupe social-démocrate est resservie à la table du prolétariat pour lui donner du courage pour aller combattre la droite, le néolibéralisme, l’impérialisme, les fascistes, les yanquis ou quiconque serait désigné politiquement comme le nouvel ennemi au prochain forum social, contre-forum ou rencontre culturelle. Et ainsi tenter d’empêcher un affrontement total avec notre ennemi de classe : la bourgeoisie mondiale, ici ou ailleurs, de gauche ou de droite, qui, toujours, représente le Capital.

C’est comme ça qu’aujourd’hui, particulièrement en Amérique Latine, les gouvernements progressistes idéalisent stratégiquement certains secteurs de la bourgeoisie, faisant l’éloge des uns et crachant sur les autres. Une stratégie identique qui, toutes proportions gardées, a fonctionné dans les années trente du siècle passé, liquidant les secteurs les plus combatifs du prolétariat international, particulièrement dans la région ibérique où se sont rejoints des révolutionnaires de partout dans le monde et qui fut couronné par le massacre prolétarien au cours de la dite seconde guerre mondiale. La création de pseudo antagonismes tels que fascisme/antifascisme travaille pour la bourgeoisie mondiale. Éluder l’antagonisme de classe en appelant à lutter contre tel ou tel secteur de la classe dominante n’est en effet pas une nouveauté.

Ceux-là même qui nous appellent à appuyer les forces progressistes de la bourgeoisie nationale, des anti-impérialistes, des bourgeois industriels contre « le retard dans la campagne », sont les mêmes qui, en d’autres occasions, nous appellent à combattre contre ces mêmes forces. Ils l’appelleront stratégie, ils l’appelleront politique… C’est le progrès du Capital et ils en sont les agents. Le maintien de l’ordre capitaliste, avec sa paix et sa guerre, est basé sur cette désorientation, sur la canalisation du prolétariat dans des projets bourgeois déguisés en révolutionnaires. L’appel à construire un pouvoir populaire en est l’un d’eux. Si tous les partisans du pouvoir populaire ne le sont pas du socialisme du 21ème siècle allant parfois jusqu’à avoir de grands différents entre eux, ces deux concepts partagent la même souche idéologique. Nous ne prétendons pas nous immiscer dans les luttes terminologiques et politicardes mais bien marquer leurs principales caractéristiques.

Les appels à construire un pouvoir populaire, venant de prétendus communistes ou anarchistes et jusqu’aux chavistes (partisan de Chavez), se caractérisent dans les grandes lignes par une insistance sur un populisme aclassiste et un flou –propre au besoin de capter la plus grande quantité de secteurs possibles- qui fait appel à des ruses terminologiques que ce soit pour définir le terme « populaire » comme pour définir le « pouvoir » décliné dans le « pouvoir faire », le contre-pouvoir, le double-pouvoir, la prise du pouvoir institutionnel, la non-prise du pouvoir institutionnel, la lutte en dehors des institutions, l’appui critique à tel gouvernement, etc. Pouvoir populaire peut signifier revendiquer soit le pouvoir politique pour le peuple soit l’augmentation du nombre d’organisations populaires qui se destinent à la lutte pour des réformes jusqu’à détenir la force suffisante pour faire le pas électoral, ou encore peut signifier le pouvoir de créer des écoles populaires, des coopératives, des entreprises autogérées de santé, de communication, d’alimentation, etc., qui, dans la majorité des cas sont impulsées par l’Etat ou qui n’arrivent pas à se maintenir en marge de celui-ci. Et dans les cas les plus « radicaux », d’apparente indépendance totale avec l’Etat, loin de perturber l’ordre capitaliste, ils ne font rien de plus que le gérer et en ce sens, ils font également partie de l’Etat. Au Venezuela on a même rajouté au nom de chaque ministère le suffixe de « Pouvoir Populaire » et quand Chavez est mort, ce sont des bourgeois jusqu’aux libertaires d’appui critique qui l’ont pleuré. Mais le chavisme et son opposition bourgeoise ne sont rien de plus que deux formes de gestion capitaliste, deux alternatives pour maintenir la marche du Capital.

Il ne nous intéresse pas de délimiter leurs propositions mais d’affirmer que leurs projets, en profitant de nos faiblesses actuelles en tant que classe, nient la révolution sociale, entendue comme rupture totale, pour la convertir en un processus d’absorption ou de réformes politiques où les institutions et leurs fonctions commenceront à être « du peuple », de nier le caractère prolétarien de la révolution, de nier que c’est la bourgeoisie qui a le pouvoir. L’enjeu pour nous, c’est de détruire son pouvoir, de le nier, de lui imposer la révolution totale, de comprendre que la nécessité de la révolution ne provient pas d’une idée abstraite mais de la généralisation de tous nos besoins et désirs humains, et non dans l’unité amorphe et étapiste des revendications converties en réformes séparées et classifiées en politiques, économiques, culturelles, écologiques, de genre, immédiates ou historiques.

Ces tendances sont tellement réformistes que dans la plupart des cas ils ne parlent même plus de révolution mais de changement social, de processus de changement. De ce réformisme qui sépare tout, surgit à son tour l’invention de « nouveaux sujets de changement » assignés à tel ou tel « secteur populaire », classifications sociologiques attribuées par des académiciens et des politiciens qui les utilisent toujours pour diviser, isoler et forcer le prolétariat à se soumettre à la bourgeoisie et maintenir ainsi l’exploitation. Ils nous parlent d’indigènes, d’étudiants, de femmes, de paysans, de travailleurs au chômage, de précaires, de professionnels, de classe moyenne, d’intellectuels, du peuple… enfin de citoyens et s’ils cherchent justement là un sujet de changement c’est parce qu’ils ne veulent rien changer du tout et veulent encore moins d’une révolution prolétarienne. Au contraire, ils cherchent la destruction du prolétariat et de son programme, en maintenant intouchables l’Etat, la démocratie et ses droits, le travail salarié et la propriété privée.

Les rares qui se risquent à parler de classe travailleuse, ouvrière ou exploitée le font de manière apologétique pour continuer à défendre le travail salarié et conçoivent la classe comme l’addition de tous ces sujets ou secteurs populaires qui devraient s’unir derrière l’un ou l’autre projet politique qui donnera des réponses à chaque secteur en particulier. Encore une fois, il ne s’agit de rien de plus que la notion social-démocrate de révolution comme simple cumul de réformes !

Là où le caractère bourgeois de ces projets se fait plus évident, c’est quand ils cherchent à canaliser le prolétariat dans le latino américanisme, qui n’est rien de plus qu’une addition de nationalismes, rien de plus que la défense des intérêts d’un groupe déterminé de bourgeois au travers d’un groupe d’Etats. Tout Etat est impérialiste et ce aussi faible soit son économie nationale ou aussi arriérée soit son industrie. Dans les guerres du Capital, comme dans les marchés, seuls sont en jeu des intérêts bourgeois impérialistes et jamais les intérêts du prolétariat. La séparation idéologique entre premier monde, tiers-monde ou « pays développés » et « en développement » oppose les prolétaires entre eux tout en brouillant et empêchant les tâches révolutionnaires. Selon la conception étapiste de la révolution, en Amérique Latine, il faut réaliser les tâches démocratico-bourgeoises en développant l’industrie nationale, en fortifiant la démocratie. Une fois de plus la farce de la libération nationale mais cette fois davantage au travers des urnes que des armes.

Les critiques de ces tendances sont aussi vielles que l’affrontement entre la révolution et la contre-révolution. Malgré qu’il se présente comme une nouveauté du 21ème siècle, ce n’est rien d’autre que le vieux réformisme avec un nouveau visage défendu au nom de la « révolution » tout en niant sa nécessité. Mais la réforme est toujours et dans tous les cas, l’arme des ennemis, des exploiteurs et des oppresseurs contre les besoins humains. La révolution, l’imposition et la généralisation de ces besoins, ne peut se réaliser en réformant cette société basée sur l’exploitation, le sacrifice, la négation brutale de la vie au profit de la valorisation du Capital, mais bien uniquement et exclusivement par sa destruction violente.

Les réformes et constructions que propose le pouvoir populaire ne sont ni incomplètes ni ne s’arrêtent à mi-parcours, elles vont dans une toute autre direction ! Elles font partie de la politique de la bourgeoisie pour canaliser et nier la force révolutionnaire du prolétariat et la transformer en force productive du capital.

Toute défense de l’économie nationale, qu’elle se peigne ou non en socialiste, est la défense de notre exploitation.

Contre les alternatives de gestion bourgeoise, opposons l’organisation et la centralisation des luttes prolétariennes.

Face à la catastrophe capitaliste, il n’y a qu’un seul chemin pour la vie : la destruction révolutionnaire du travail salarié et de la marchandise.

Proletarios Internacionalistas
[Prolétaires Internationalistes]*

* [Contrairement aux autres contributions de cette publication, que nous avons pris le soin de traduire, ce texte existait déjà en français et nous l’avons copier/coller à partir du blog de PI, tout en corrigeant quelques fautes d’orthographe. Ndt]



[1] Note du traducteur : la version originale espagnole de ce texte propose en titre (“El mito de la izquierda se cae de maduro”) un jeu de mots intraduisible en français. Maduro est le nom du successeur de Chavez à la tête de l’État-Nation vénézuélien mais signifie aussi « être mûr », « mature ».

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