Face aux suites insurrectionnelles du drame des deux adolescents morts électrocutés dans un transformateur EDF alors qu’ils tentaient de « fuir la police », les jeunes de Clichy-sous-bois (banlieue parisienne) accusent les forces de l’ordre de mettre de l’huile sur le feu en les provoquant sciemment et même de leur tirer dessus sans raison avec des balles en caoutchouc. Afrik a récupéré une vidéo illustrant les violences policières et a recueilli de multiples témoignages à l’occasion d’une rencontre, dimanche, entre le maire et les jeunes.
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Dimanche, 15h mairie de Clichy-sous-Bois. Le maire a organisé une rencontre informelle avec les jeunes, tous très remontés ou dépités par l’attitude de la police la veille. La veille, la ville avait organisé une marche silencieuse en hommage aux deux adolescents, Ziad et Banou, brûlés vifs jeudi dernier dans une centrale EDF alors qu’ils étaient, ou pensaient être, poursuivis par la police. Mais si, après deux jours d’émeutes, la tension était tombée d’un cran, les jeunes accusent les forces de l’ordre de susciter et d’entretenir la haine du képi en multipliant provocations, abus d’autorité et répression gratuite.
« Toutes les forces vives à même de calmer le jeu ont fait un énorme travail. La marche s’est déroulée dans le calme, mais dans la soirée les CRS se sont mis à aiguillonner les jeunes, à les provoquer » , reconnaît un membre de la mairie qui a requis l’anonymat. Sur le parking de la mairie, plus de 150 jeunes, essentiellement d’origine africaine (Afrique noire et Afrique du Nord), sont venus écouter le maire. Ce dernier tient à rappeler que toute la casse qu’il y a eu sera à la charge de la ville, donc du contribuable. Il prône une solution entre personnes de la ville et semble mettre de côté le facteur policier. Chacun s’exprime librement.
Dans la foule, les langues se délient. De petits groupes se forment ça et là pour commenter les événements de la veille. Tous dénoncent les abus et les provocations de la police. Beaucoup ont été témoins d’exactions ou directement pris pour cible. « Ils (les policiers, ndlr) sont plus chauds, ils nous provoquent plus. Le frère d’un des enfants défunts était avec nous, comme d’habitude, en bas de son immeuble quand la police est arrivée, avec ses flash ball (fusil tirant des balles en caoutchouc, ndlr) et a commencé à nous toiser pour finir par lui dire : ‘toi rentre chez ta mère’. Il a fait trois pas vers les flics pour leur parler, un des flics lui a dit : ‘Arrête ou je t’allume’. Nous nous sommes sauvés jusqu’au dixième étage, ils ont commencé à tirer des balles à gaz dans le hall », explique, écoeuré, Jérémy.
Des mères de famille insultées alors qu’elles sortaient de la mosquée
« Ils racontent tous de la merde, spécialement les journalistes, s’emporte Youcef, en regardant l’équipe de Capa production (Le vrai journal), entourée de jeunes, prendre des images et des commentaires. Ils ont d’emblée commencé à salir la réputation des victimes alors que le procureur de Bobigny reconnaît aujourd’hui qu’ils n’étaient pas connus défavorablement des services de police. Les médias veulent tous nous faire passer pour des racailles, alors que c’est la police qui provoque les jeunes pour saisir le moindre prétexte pour frapper ou tirer. »
« Nous sortions de la mosquée, et la police nous a encerclés, flash ball aux poings. Ils nous ont pris à partie, mais ce qui nous a le plus choqué c’est quand ils ont mis en joue des mères de famille qui sortaient de la prière et qu’ils se sont mis à les insulter : « Cassez-vous bande de putes et surveillez mieux vos enfants ! », explique, Morad, plein d’une colère contenue. S’il ne semble pas du genre à prôner l’affrontement avec les forces de l’ordre, tous ne sont pas aussi tempérés.
Forces de l’ordre... ou du désordre ?
La tension est palpable. D’autant que trois voitures de police se sont postées à 50 m de la mairie. L’un des policiers a son flash ball à la main et le doigt sur la gâchette. La foule prend cela pour une énième provocation. Les esprits s’échauffent quelque peu. Deux personnes commencent à haranguer la foule pour attaquer la police : « Venez, on est plus nombreux, on y va tous et on leur pète leur mère », clame l’un d’eux. Heureusement que les partisans du calme et du dialogue sont plus nombreux. Ils arrivent à disperser la ligne de jeunes formée en face des voitures de police.
« Ils nous provoquent de trop, j’ai des amis qui se sont fait tirer dessus, comme ça, pour rien, avec des balles en plastique. Cela ne peut engendrer que la violence. Tout le monde est chaud. Maintenant si ça doit péter ça va péter. Je n’ai pas peur d’eux et de leurs armes. On va arriver à un stade où l’on va se procurer des armes. Ça va devenir comme en Amérique ici », prophétise Jonathan.
« La police m’a arrêté à 4 heures du matin. J’étais seul en voiture. Ils ont fouillé le véhicule et ont trouvé une batte de base-ball dans mon coffre. Quand ils m’ont demandé pourquoi j’avais une batte, je leur ai répondu qu’il n’était pas interdit d’en mettre une dans son coffre. Ils m’ont répondu : « Et c’est interdit si je le mettais dans ta gueule ! ». Puis ils ont commencé à me dire « On n’est pas à Beyrouth ici » et à m’insulter « espèce de petit pédé ». L’un d’entre eux voulait absolument me voir pleurer. Il est venu juste devant moi et m’a dit « Pleure ! ». Alors qu’il me répétait ses mots, une voiture de journalistes est heureusement passée. Je les ai interpellés et ils se sont arrêtés. Le policier a lâché avant qu’ils n’arrivent qu’il n’aimait pas les journalistes, mais bon il ne pouvait rien faire d’autre que de me laisser tranquille.
La police entièrement couverte par Nicolas Sarkozy
Dans le drame de Clichy-sous-Bois, deux versions s’affrontent, sur le point de savoir si la police poursuivait ou non les adolescents qui revenaient d’un match de foot : celle de la police et celle des jeunes de la ville. Le problème est qu’il y a des témoins. Un des jeunes poursuivis explique qu’il s’est caché alors que ces trois copains filaient droit vers la station EDF. Au delà du témoignage, certains ne comprennent pas non plus la version de la police. « Pourquoi certains autres jeunes ont été arrêtés s’ils ne les poursuivaient pas, puisque tout le monde avait pris la fuite ? », s’interrogent les uns. « Pourquoi les jeunes auraient-ils décidé d’escalader un mur de 3 mètres avec des barbelés ? », se demandent les autres. Autant d’interrogations que la police balaie d’un revers de la main.
Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a, lui-même, déclaré dimanche au 20 heures de TF1, que d’après les éléments dont il disposait : « la police ne poursuivait pas les jeunes ». S’il entend « dire la vérité à tout le monde », il a tenu à rendre « hommage au travail remarquable des policiers » et à les « féliciter » pour les différentes interpellations. Un discours sécuritaire qui nourrit, pour beaucoup, un amalgame dangereux - à savoir que toutes les personnes appréhendées étaient des voyous- et qui cautionne l’impunité des forces de l’ordre.
Une vidéo accablante pour les forces de l’ordre
Nicolas Sarkozy a une fois de plus rappelé qu’il entendait maintenir une « tolérance zéro » face aux violences urbaines. Décriant la police de proximité, il prône désormais la nécessité de multiplier les interpellations. Entendu par là que les « vrais jeunes », n’auront rien à craindre de la police. En attendant, le dispositif sécuritaire, qui compte plus de 400 CRS, gendarmes et policiers, commençait à se mettre en place dimanche pour quadriller la ville.
La police soutenue par le ministre de l’Intérieur a-t-elle tous les droits ? Une vidéo, tournée depuis un téléphone portable, circule actuellement dans les quartiers. Un document, intitulé « Les nouveaux keufs [1]de Sarko », qui a été remis à Afrik et dont une partie pourra être visualisée en ligne. On y voit une voiture de police arrêtée portière ouverte. On croit deviner qu’un policier reçoit un projectile. La riposte est immédiate. On y voit clairement des policiers en civil tirer à plusieurs reprises, dont deux fois presque à bout portant, avec leurs flash ball. On les voit courir après les jeunes en criant « Revenez bande de bâtards ! »
« Certaines des balles en caoutchouc sont même signées, explique Kader. Il y a un gars qui en a récupéré une qui portait l’inscription : ’Boum, boum dans tes fesses, à bientôt, Luc’. La rupture entre les jeunes et les forces de l’ordre semble définitivement consommée. Entre le discours des politiques, qui cautionnent les agissements de la police et les médias, accusés de travestir et tronquer la réalité, la méfiance et le ras-le-bol nourrissent un sentiment de haine qui pourrait malheureusement conduire au pire.
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