La lutte prolétarienne, ce n’est pas seulement la Grèce en décembre 2008, même si, du moins dans l’espace euro-atlantique, cette rébellion est, par la profondeur et l’étendue de sa critique sociale tant consciente qu’inconsciente, l’expression de notre classe qui est allé le plus loin ces dernières décennies. Les prolétaires luttent aussi bien aujourd’hui qu’hier dans le monde entier, parce que malgré leurs différences locales, ils sont dans la position d’une classe exploitée, et ils partagent tous fondamentalement la même misère de la survie dans le capitalisme.
Économie contre besoins humains
Avec l’arrivée de la crise, le capitalisme continue à nous faire la grimace avec son visage dégoûtant et assure une augmentation supplémentaire de l’exploitation, la misère et l’aliénation.1 Il n’y a rien de nouveau : l’exploitation de notre force de travail, la ponction de notre énergie vitale, sont les bases de la société capitaliste. Le but de la production n’est pas la satisfaction des besoins humains, mais la création du profit pour la classe qui possède les moyens de production – la bourgeoisie. Nous sommes tous des exploités, parce qu’en échange de notre travail, nous ne recevons qu’un salaire avec moins de valeur que la valeur des marchandises que nous avons produites. Tout ce que nous avons produit au-delà de la valeur de notre propre force de travail devient de la plus-value. Ceci, après déduction des investissements dans des moyens de production (que ce soit une tour, un tracteur agricole ou un serveur informatique), se transforme en profit du capitaliste. De cette plus-value extraite de notre travail vivant se forme la quantité de richesse accumulée de la bourgeoisie qui en retour l’investit dans une production supplémentaire. Nous sommes obligés de dépenser nos salaires pour les mêmes marchandises que nous avons produites au travail, parce que c’est la seule façon possible de survivre. De fait, nous permettons la réalisation du profit de « notre cher capitaliste ». Tous les jours, nous sommes encore et encore poussés dans le processus de production aliéné et aliénant par la logique impitoyable de la création de profit. Ce cycle à répétition reproduit constamment la classe des propriétaires qui achètent la force de travail (la bourgeoisie) et la classe obligée de vendre sa force de travail (le prolétariat).
Mais avec le développement capitaliste et la technologisation croissante de la production, de la productivité du travail et donc du taux croissant d’exploitation, les capitalistes sont capables d’inonder le marché avec une quantité toujours croissante de marchandises, tout en utilisant une quantité de force de travail toujours décroissante. Cela signifie que la valeur des marchandises diminue. La bourgeoisie essaye d’éviter cela en se débarrassant de la force de travail superflue et en même temps, ils cherchent à réaliser le même taux de profit au moyen de la conquête de nouveaux marchés (par exemple, en faisant de la publicité) afin de vendre plus de marchandises, parce que le potentiel du marché n’est pas illimité. De cette façon, le capitalisme mène inévitablement à la crise générale de valorisation, comme celle que le monde éprouve actuellement. Après les faillites de banques, le renvoi d’employés tant dans l’industrie que les services, la baisse des salaires, la destruction des réserves de marchandises invendues, vient la fermeture d’entreprises. Et pour différentes fractions de la bourgeoisie, une guerre apparaîtra tôt ou tard comme la seule sortie de la crise, parce qu’elle leur permet de détruire une quantité suffisante de valeur à un rythme suffisant pour reprendre à nouveau la croissance économique.
Besoins humains contre économie
La vie dans la totalité capitaliste n’est rien d’autre qu’une survie misérable jour après jour. Vidés de notre énergie vivante au travail, terrorisés par la police, nourris avec de la nourriture au polystyrène expansé, virés du boulot, et avec la perspective d’être envoyés à la mort au nom de la patrie, la nation, la race, la démocratie ou la religion, dans une guerre ou l’autre, quand ils deviennent complètement superflus pour le Capital, les prolétaires se soulèvent pour imposer leurs besoins humains contre les besoins de l’économie.
Aujourd’hui, la situation de la vie empire pour beaucoup d’entre nous, pendant que les capitalistes conduisent encore leurs culs dans des voitures de luxe et nous nourrissent avec des appels à se serrer la ceinture et pour nous persuader de consentir à « la nécessaire rationalisation de la production » – licenciements et diminution des salaires. Mais quelquefois, une telle arrogance ne rapporte rien au bourgeois. Comme exemple, nous pouvons choisir un banquier, Fred Goodwin, de la Banque Royale d’Écosse, dont la luxueuse villa et la limousine ont été endommagées. De plus, il a reçu des menaces par SMS qui déclaraient que ce n’était qu’un début et que bientôt sa maison brûlera avec lui dedans.
Comme les luttes de ces dernières années nous l’ont montré, par exemple au Bangladesh ou en Egypte,2 notre classe n’est pas vraiment morte, comme un tas de sociologues bourgeois et/ou d’experts du show médiatique de TV NOVA3 essaient de nous faire croire dans leurs mensonges quotidiens.
Idem lors d’une récente vague de grèves sauvages en Angleterre, dont la cause était l’exclusion d’ouvriers autochtones dans le secteur de la construction qui ont eut lieu dans des usines de l’industrie pétrolière britannique,4 où les médias bourgeois ont essayé, main dans la main avec les politiciens et les syndicats, de dépeindre tout le mouvement sous des aspects nationalistes de « compétition sur le marché du travail ». Même si en premier lieu, les travailleurs en grève ont eux-mêmes utilisé des slogans comme « du boulot anglais pour des ouvriers anglais », dans le processus de la lutte, ceux-ci ont été très vite oubliés et ont cédé la place à un contenu de classe beaucoup plus internationaliste. Par exemple, des banderoles en italien, utilisée par des grévistes, appelant les ouvriers italiens, employés dans une entreprise qui continuait le travail, à rejoindre la grève. Dans plusieurs villes britanniques, des ouvriers ont aussi occupé les usines Visteon en liquidation pour imposer le paiement d’indemnisations et beaucoup de conflits sociaux se sont développés dans le secteur de l’administration contre les coupes dans le budget de l’état.
Comme les troubles reviennent au cœur de cette Europe « d’abondance » (sous la forme du soulèvement de décembre en Grèce), les bourgeois ont été effrayés et ils ont chié dans leurs frocs. Le président de France, Sarkozy, effrayé par les événements grecs, a reporté ses plans pour un appauvrissement accru des jeunes prolétaires en France, plans consistant à instaurer de plus longues périodes d’examens et des frais de scolarité plus importants. Malgré tout, la France n’a pas évité la contestation étudiante, les occupations d’universités et de lycées que souvent les flics anti-émeutes ont dû faire cesser. Les coupes supplémentaires dans les budgets et les plans de privatisation de l’éducation ont rendu furieux des dizaines de milliers d’étudiants et de professeurs dans toute l’Italie et ont causé une vague d’occupations des universités, dont quelques-unes, en dépit des efforts des syndicats étudiants, ont conduit à des bagarres avec la police.5
Dans les départements français d’outre-mer, Guadeloupe, Martinique, Guyane française et Réunion, une grève générale a éclaté contre l’insupportable taux d’exploitation et a totalement paralysé au moins les îles de la Guadeloupe et de la Martinique. Cela fut accompagné d’émeutes et de pillages que l’état a réprimés avec des unités de police envoyées de France. Finalement, la bourgeoisie a fait reprendre le travail par les ouvriers, mais en échange d’une augmentation d’environ 30% de leurs salaires. La grève générale a résonné jusqu’en France même, où plusieurs manifestations de solidarité eurent lieu. D’eux-mêmes, des prolétaires en France, devant faire face à des fermetures d’usines et à des licenciements, lancent des grèves avec occupation et prennent leurs patrons en otages afin de faire valoir leurs revendications.
Et le prolétariat s’est aussi réveillé ailleurs. Dans des régions traditionnellement calmes, une vague d’émeutes a eu lieu: dans les capitales de Lettonie et de Lituanie, des centaines d’ouvriers se sont heurtés à la police et ont satisfait leurs besoins humains immédiats en pillant des magasins. De cette façon, ils subvertissaient en pratique la quotidienneté de la logique capitaliste des rapports d’échange. De la même façon, des prolétaires à Sofia, dans un faubourg de Malmö ou encore à Vladivostok, ont clairement montré ce qu’ils en pensent du serrage de ceinture et de la détérioration de leurs conditions de vie. Après une cinquantaine d’années de calme, la classe ouvrière en Islande, durement frappée par la crise économique, est descendue dans la rue et a attaqué le parlement et des commissariats de police. Dans un pays de 320.000 habitants, plus de 10.000 prolétaires ont participé aux manifestations quotidiennes qui ont tourné en affrontements avec la police.
Ce qui inquiète très fort la bourgeoisie mondiale, c’est le prolétariat dans « l’atelier du monde » et « nouvelle superpuissance mondiale » : la Chine « rouge ». A entendre les discours de politiciens mondiaux, on peut appréhender la peur qu’ils ressentent concernant l’impact qu’un soulèvement prolétarien à grande échelle en Chine pourrait avoir sur le prolétariat mondial. Les bureaux officiels de statistiques de l’état chinois, en accord exceptionnel avec les journalistes occidentaux, observent une brusque augmentation du nombre d’émeutes et de grèves qui sont déclenchées partout dans le pays. Les statisticiens parlent d’environ des dizaines de milliers d’« incidents » qui ont requis l’intervention de la police. Par exemple, le 19 décembre 2008, au moment-même où le soulèvement prolétarien faisait rage en Grèce, dans la ville de Longan, dans le nord-ouest de la Chine, environ 50.000 résidents locaux et paysans pauvres venant des villages environnants se sont heurtés à des unités spéciales de la police à cause de l’appropriation par l’état de leurs terres et la démolition de leurs habitations sans aucune compensation. Pendant l’affrontement, deux bureaux locaux du parti communiste chinois ont été réduits en cendres, ainsi que beaucoup de véhicules gouvernementaux et de la police. Mais plus de vingt manifestants ont été littéralement battus à mort et plus d’une centaine ont été grièvement blessés par les matraques policières.
Une perspective ?
Bien que la cause de toutes les luttes prolétariennes soit la même: le rapport social d’exploitation sur lequel le capitalisme est basé et qui est la source de toutes les contradictions et problèmes auxquels notre classe doit faire face, cela ne veut pas dire que les prolétaires en lutte soient conscients de ce rapport unissant leurs luttes particulières dans le monde entier et qui implique en même temps leur seul dépassement positif possible – la révolution communiste qui détruit la société de classe et dès lors met un terme à toute exploitation, oppression, guerre et famine. Seule une communauté humaine mondiale, où nous ne serons pas forcés de vendre nos vies pour un salaire et où nos relations seront libérées de la médiation de l’échange, nous permettra d’être de véritables êtres humains.
Malheureusement, nous devons affirmer aujourd’hui que, au moins actuellement, les luttes prolétariennes dans le monde arrivent d’une façon ou d’une autre par coïncidence en même temps, mais sans se rattacher mutuellement l’une à l’autre. Comme nous l’avons déjà dit auparavant, la plupart des luttes prolétariennes dont nous parlions, consistent en des affrontements violents, éphémères, isolés et rapidement défaits, d’une poignée de prolétaires avec la police ou en des grèves sauvages, tout autant limitées. Ces luttes sont souvent limitées par beaucoup d’illusions démocratiques et nationalistes, mais à certains moments, elles sortent du contrôle de la sociale-démocratie (dans ses formes de syndicats ou de partis politiques) et interrompent en pratique la paix sociale. Ces expressions isolées de la lutte de classe meurent rapidement et donnent assez d’espace à la bourgeoisie pour contre-attaquer – répression de la police, contrôles, mensonges médiatiques. Mais généralement, elles sont une preuve que le prolétariat lutte pour ses intérêts, qu’il y ait une crise ou pas.6
Cependant, il est nécessaire de dire que le poids de la domination bourgeoise et du spectacle nous tombe sur les épaules, même à nous autres les communistes. Bien que nous, militants communistes, soyons consciemment des internationalistes et comprenions la société de classe dans son étendue globale, il est très difficile de percer la barrière des contes de fées, de la langue et la censure médiatiques. C’est particulièrement fort dans les cas d’informations au sujet de luttes dans les soi-disant « pays en voie de développement », qui sont interprétées par les médias bourgeois aussi habilement que possible pour dissimuler leur contenu de classe.7
Néanmoins, c’est seulement lorsque les prolétaires en lutte dans différentes parties du monde se reconnaissent dans leurs frères et sœurs de classe de l’autre côté de la planète, que la révolution communiste a une chance d’être victorieuse. Mais nous ne pouvons pas dire si cette situation se rapproche. Nous espérons que l’impact de la crise économique mondiale sur les conditions de vie du prolétariat servira de facteur unificateur qui aidera notre classe à refuser la fausse conscience et à fraterniser en dépit de toutes les divisions bourgeoises.
[1] Séparés de nos moyens d’existence, nous sommes obligés de vendre notre force de travail au Capital dans un processus de production aliéné et aliénant, et cette aliénation est transférée dans tous les autres aspects de nos vies, de nos relations avec d’autres êtres humains et dans notre conscience. Les médias bourgeois apportent régulièrement des nouvelles au sujet de « tueurs fous », de « massacres incompréhensibles » commis par des « malades mentaux » et de suicides de « loosers désespérés », événements qu’ils décrivent comme des excès pour masquer leurs racines dans la totalité inhumaine de la société de classe.
[2] Il s’agit de grèves sauvages militantes de milliers d’ouvriers, surtout dans le textile, le pétrole, la construction, l’industrie minière et l’agriculture (malgré que toute grève soit déclarée illégale en Egypte et en dépit de plusieurs années de loi martiale au Bangladesh), mais aussi d’émeutes dans les rues contre la hausse des prix de la nourriture et de l’essence, de luttes militantes d’immigrés de l’Afrique sub-saharienne contre les expulsions au Caire, et qui ont culminé dans une mutinerie de soldats au Bangladesh qui ont revendiqué la mort de quatre-vingts bourgeois en uniforme.
[3] Chaîne de télévision « privée » et « populiste » en République tchèque, comparable à TF1 en France ou RTL-TVI en Belgique. [note du traducteur]
[4] Les ouvriers du bâtiment furent rejoints très rapidement par des ouvriers de presque toutes les raffineries britanniques et de plusieurs centrales électriques, d’incinérateurs, d’une usine chimique et d’aciéries.
[5] Au moment d’écrire ce texte, une deuxième vague d’occupations eut lieu, beaucoup plus militante et autonome par rapport aux structures sociale-démocrates. Les occupations ont été menées dans beaucoup de grandes villes dans toute l’Italie. À Rome, des manifestants qui occupaient l’Université Sapienza se sont sérieusement affrontés à la police dans les rues ; à Naples, les occupations ont commencé à quitter le cadre des universités. En même temps, les occupations d’universités en France continuaient, alors que les étudiants voulaient passer leur année sans examens, revendiquant une note moyenne, pendant que les professeurs voulaient abolir le semestre entier.
[6] Nous voudrions refuser la fausse question, si populaire parmi les ultra-gauchistes, de savoir si le meilleur moment pour la lutte de classe, c’est soit pendant la conjoncture capitaliste, parce que les ouvriers sont dans une position meilleure puisque le capital a besoin de leur force de travail, soit en temps de crise, parce qu’ils doivent d’abord crever de faim avant de se rendre compte de leur exploitation.
[7] Un exemple particulièrement dégoûtant pourrait être la région de la soi-disant Afrique Noire où toute la terreur commise par le capital contre nos frères et sœurs de classe est présentée comme une preuve du primitivisme des « nations locales ».