Internacionalističtí proletáři: Il ne s’agit pas d’arbres, mais il ne s’agit pas de démocratie non plus !
Depuis maintenant plus de trois semaines, la Turquie est secouée par une révolte prolétarienne massive qui jusqu’à présent a fait descendre dans ses moments les plus forts presque 5 millions de manifestants dans les rues de tout le pays. L’étincelle immédiate du mouvement fut la brutale répression de l’État, lorsque la police a écrasé une manifestation contre la destruction et le redéveloppement du parc Gezi dans le centre d’Istanbul (juste à côté de la place Taksim, tristement célèbre pour le massacre d’ouvriers en 1977 et très symbolique pour le mouvement prolétarien en Turquie).
Les jours suivants, les rues d’Istanbul, puis d’Ankara, Izmir, Adana et Mersin, Antakya et environ 50 autres villes, ainsi que beaucoup de plus petites villes, se sont remplies de manifestants et d’émeutiers qui ont libéré leur colère accumulée contre l’État capitaliste et ses flics. Passages à tabac brutaux, canons à eau, balles en caoutchouc et des tonnes de gaz lacrymogène dans les mains de la police ont essuyé une résistance organisée qui a érigé des barricades et a utilisé toutes les armes disponibles dans les rues. Les affrontements avec les forces répressives ont jusqu’à présent fait sept morts parmi les manifestants et au moins un parmi les flics. Quelques autoroutes et ports furent bloqués, et la circulation des marchandises fut également partiellement interrompue. D’après les chiffres des syndicats officiels, plus de 800.000 ouvriers participèrent aux actions de grève du 17 juin auxquelles ils appelèrent (alors que probablement beaucoup d’autres organisèrent des « grèves sauvages » ou développèrent d’autres moyens pour se joindre aux protestations). Le soulèvement a aussi sérieusement affecté plusieurs secteurs de l’économie turque (y compris la bourse).
Dans les endroits d’où les flics avaient été chassés (comme dans le secteur de Taksim) beaucoup d’habitants sont venus et ont discuté dans un état d’esprit général de résistance. Tandis que l’armée en tant qu’appareil participe à la répression policière, certains soldats expriment leur solidarité avec les contestataires en distribuant des masques à gaz. Beaucoup d’anciennes divisions et d’entraves idéologiques, imposées par la machine idéologique dominante de l’État capitaliste et intériorisées par le prolétariat en Turquie, commencent à sérieusement se fissurer (c’est-à-dire des divisions comme « Turcs » contre « Kurdes », « Arabes », « Arméniens », « gauchistes » contre « droitistes », « femmes soumises » contre « hommes conservateurs » et même dans une certaine mesure « religieux » contre « laïcs »). Les media bourgeois, en tant qu’outils de l’appareil idéologique de l’État qui n’est pas neutre mais représente les intérêts de la classe dominante, en couvrant le soulèvement massif (les media turcs ont au départ essayé de cacher la situation en l’ignorant), se focalisent sur les affrontements, les nuages de gaz lacrymogène, les émeutes de « groupes marginalisés » ou sur les « manifestations pacifiques », les drapeaux nationaux et les photos de Mustafa Kemal, afin d’essayer de réduire l’ensemble du mouvement en un mouvement pro-démocratie, de citoyens contre « l’islamisation rampante » et « l’autocratie d’Erdogan », en un « printemps turc » ou une autre « révolution colorée » qui existent grâce aux réseaux sociaux d’Internet.
Divers observateurs et sociologues de gauche vont, dans le but de brouiller la nature prolétarienne du mouvement en Turquie, jusqu’à l’appeler « un mouvement des classes moyennes » et formuler des questions démagogiques, si et quand « les ouvriers vont se joindre aux protestations », comme si le prolétariat ait jamais été identique à ces putains de syndicats (les syndicats qui dans chaque protestation massive agissent pour « le dialogue avec le gouvernement », pour « la paix et la stabilité », comme l’ont dit les principaux syndicats turcs, et pour « protéger l’économie nationale », ici « le futur de la Turquie », et qui avec leurs « grèves » annoncées à l’avance montrent qu’ils sont un obstacle dans la vraie lutte de classe – une vraie grève signifie une attaque du système de production capitaliste, sans préavis, sans limites dans la durée !).
Nous voulons souligner que le mouvement en Turquie surgit d’une réalité de misère dans la société de classe basée sur l’exploitation du travail humain, avec son besoin toujours présent et croissant de faire disparaître toute lueur d’activité humaine non-médiatisée, y compris la vie de ses protagonistes si nécessaire. Donc pour nous, la résistance initiale contre l’abattage des arbres dans le parc Gezi n’est qu’une petite manifestation de la lutte prolétarienne contre un des aspects du capitalisme – une catastrophe écologique qui résulte inévitablement de son développement, une catastrophe qui est son produit profond et ne peut pas en être séparée, et qui particulièrement en Turquie prend la forme d’inondations artificielles d’énormes régions, de déboisement massif, de crise du gaspillage peu dissemblable à celle de l’Italie du sud, de marées noires, etc. – qui à son tour fait localement monter les prix des denrées alimentaires et contribue globalement à la « crise alimentaire ». Les quartiers prolétariens dans les villes de tout le pays ont été déblayés et redéveloppés en pâtés de bureaux et d’appartements chers. De la même façon, la résistance contre la torture et les tueries étatiques n’est pas comparable à l’appel pour « une réforme de la police » et la rage contre l’imposition de la version « islamiste » de la moralité capitaliste ne signifie pas nécessairement l’acceptation de la version « occidentale-libérale ».
En dépit de la détermination héroïque de nos frères et sœurs de classe dans les rues qui font face à la répression brutale de l’État, en dépit de cette joie de la résistance, toutes ces grandes sensations d’être ensemble dans la lutte, sur les barricades, à s’entraider après une attaque au gaz lacrymogène, à partager de la nourriture, à discuter, tous ces aspects qu’on ne pouvait pas imaginer avant, le mouvement n’émerge pas comme « pur » et révolutionnaire. Ainsi chaque mouvement prolétarien contient des contradictions internes. Dans la présente révolte en Turquie, cela se manifeste par son obsession à déclarer une fraction bourgeoise particulière comme l’ennemi essentiel (Erdogan et son AKP), avec ses idéologies « écologiste », « laïque » et « nationaliste », avec son « pacifisme » ou ses « émeutes rituelles » consistant à lancer futilement des pierres contre des véhicules blindés.
Il semble que le mouvement a récemment commencé à décliner ou que son énergie s’est transformée. Les manifestations de « l’homme debout » transforment les précédentes protestations héroïques et passionnées en happenings pacifistes et soumis qui ne peuvent être accueillis par l’État que comme le commencement possible d’un dialogue interclasse et comme une chance pour les forces répressives (la police et tout appareil idéologique) de se ressaisir et de se concentrer sur un assaut contre les militants (maintenant que les cochons de la police ne sont plus la cible des briques et des Molotov, une répression sélective et massive s’est déclenchée suivie d’arrestations).
Chaque mouvement prolétarien, y compris la présente vague en Turquie, doit d’abord essayer de se débarrasser de l’influence de l’idéologie bourgeoise dominante et rompre avec sa « propre » bourgeoisie. C’est toujours le prolétariat qui est saigné et qui paie, en temps de paix comme en temps de guerre. Le prolétariat en Turquie, comme dans tout autre pays, n’a RIEN en commun avec sa propre classe dominante et son État !
Mais il a TOUT en commun avec tous les autres prolétaires dans d’autres pays, qui consistent en toutes les nationalités, races, sexes. Donc en ce qui concerne la Turquie et son État, qui essaie de se positionner avec d’autres forces impérialistes autour de la question de la guerre civile en Syrie, cela signifie une résistance pratique à l’égard du service militaire, la perturbation des approvisionnements militaires, la propagande anti-guerre parmi les hommes de troupe et finalement de considérer les autres simples « soldats » non comme des ennemis mais comme leurs camarades prolétaires en uniforme.
C’est seulement lorsque le mouvement s’étend et s’approfondit, quand il généralise son opposition aux diverses tentatives de la bourgeoisie locale de l’encadrer dans une question particulière, qu’il a la possibilité d’exister et de se développer. Le mouvement doit vaincre tous les intérêts sectoriels qui reproduisent la compétition entre les ouvriers, et il doit exprimer les besoins de l’ensemble de la classe. Pour parvenir à faire cela, il doit se concentrer sur le maintien et le développement des structures organisationnelles que le prolétariat a produit durant les hauts moments de la présente lutte, il doit les approfondir et les durcir par l’évaluation des luttes présentes ainsi que des luttes historiques précédentes, il doit les faire entrer plus fortes dans une nouvelle vague du mouvement ou dans une nouvelle vague de la lutte de classe ouverte, avec un programme plus clair, capable de s’opposer à ceux qui veulent l’encadrer et se donner les moyens et les méthodes de le faire avancer.
Ne nous bernons pas avec des fantasmes, la normalité fut la raison pour laquelle nous avons submergé les rues. Cette normalité, c’est l’état de notre exploitation, de notre misère, de la répression, des guerres et de tout ce qui nous dégoute comme le nationalisme, l’oppression et la violence basée sur le sexe, la race, la nationalité. Nous pouvons détruire ce système désastreux. Dans chaque confrontation de masse et de haut niveau, nous voyons comment la société future agit déjà dans l’actuelle !
Camarades, prolétaires!
Soulevez-vous ! Tout le monde dans la rue !
Menons de véritables grèves sans préavis ni limites dans la durée !
Faisons reculer les patrons !
Surmontons les divisions imposées à l’intérieur de notre classe !
Solidarité avec les plus opprimés et exploités !
Aucun soutien à notre « propre » bourgeoisie, aucun soutien à l’économie nationale !
Pas de sang sur les champs de bataille pour les intérêts impérialistes !
Pas de guerre sauf la guerre de classe !
Internacionalističtí proletáři, Juin 2013